Ecrivains d'Afrique du Sud
C'est hélas à effectifs réduits que nous avons partagé nos lectures des auteurs Sud-Africains. Du coup, certains écrivains classiques ont été un peu délaissés : Alan Paton et Nadine Gordimer, ainsi que l'excellent auteur de romans policiers Deon Meyer.
André BrinK (1935- )
Né le 29 mai 1935 à Vrede (Etat Libre), André Brink est un écrivain d'expressions afrikaans et anglaise. Professeur, après des études de littérature en Afrique du Sud et à la Sorbonne, il a aussi traduit de grands classiques, dont Shakespeare. Engagé contre l’apartheid, il obtient en 1980 le prix Médicis étranger pour son roman Une saison blanche et sèche, censuré en Afrique du Sud.
Au plus noir de la nuit
(Kennis van die Aand, 1973, Looking on Darkness, 1974)
Dans le couloir de la mort, Joseph Malan, un homme noir, rédige les souvenirs de sa vie et fait disparaître ses notes au fur et à mesure. C’est son dernier acte de résistance : ses geôliers croient qu’ils vont récupérer des aveux… ils n’auront qu’une transposition de pièces de Shakespeare.
Pourquoi doit-il mourir ? Comment en est-il arrivé là ?
Et bien… parce qu’il est noir, en Afrique du Sud, dans les années où l’apartheid, à son comble, commence à être remis en cause.
D’emblée le narrateur se situe dans la lignée chaotique de ses ancêtres, tous morts avant l’heure pour s’être affirmés ou avoir défendu leurs convictions… Il a grandi comme esclave au service du propriétaire blanc d'une ferme. Ce même propriétaire a fait la seconde guerre mondiale, emmenant avec lui comme ordonnance le père de Joseph, qui est mort dans un camp nazi. Le fermier, se sentant redevable envers le petit Joseph, lui permet de profiter d’une éducation supérieure. Joseph se découvre une passion pour le théâtre, et réussit à se faire une renommée d’acteur en Angleterre. Et c'est à travers sa passion qu'il mène son combat contre le régime politique sud-africain : son grand rêve le ramène au pays, pour un théâtre engagé… trop engagé !
Un texte à la fois daté (Mandela est signalé comme un membre de l’ANC actuellement en prison) et formidablement puissant. Pour les actes de résistance de cet homme qui, au début, ne pensait qu’à réussir et s’est découvert une conscience. Pour cette histoire d’amour entre deux êtres que la couleur de peau ne sépare que dans les yeux des autres. Pour l’écriture forte et belle de l’auteur.
La porte bleue
Le personnage principal, David, est professeur. Sa femme a une bonne situation, et il a toujours hésité à abandonner l'enseignement pour se consacrer à la peinture. Ce court roman est une sorte de rêve éveillé, où le héros peine à ouvrir la porte qui le mène chez lui. Très bien écrit, il se réfère à une histoire d'amour de jeunesse avec une femme noire.
Michiel Heyns (1943- )
Michiel Heyns a grandi à travers l'Afrique du Sud et a fait ses études à l'université de Stellenbosch puis Cambridge. Professeur d’anglais à l’université, il a pu se consacrer pleinement à l’écriture après le formidable succès de son premier roman, Jours d'enfance.
Jours d’enfance
(the Childrens day, 2002)
Décembre 1968, Simon et ses copains du collège anglophone de Bloemfontein, « métropole » de l'État libre d'Orange en Afrique du Sud, doivent affronter au tennis les péquenots d'un collège technique afrikaner des environs. Ils considèrent de haut les « clefs à molette » et pensent les battre facilement. Mais Simon retrouve parmi eux Fanie van den Bergh, un garçon qui a partagé son enfance à Verkeerdespruit, village perdu de petits Blancs afrikaners, et de Bantous parqués dans le township.
La rencontre ravive des souvenirs oubliés et met en évidence les conflits raciaux et de classe. Heyns explore le fossé entre Anglais et Afrikaners, dont Simon - fils d'un magistrat anglais et d'une Afrikaner - est le reflet. Fanie, lui, est issu d'une des familles pauvres de la paroisse, celles dont s'occupent les dames patronnesses. Dans les années 1960, très restrictives, celles de l’Apartheid, le puritanisme et l’hypocrisie règnent dans cette petite communauté. La parole du pasteur (ou de sa femme) décide de tout, et les personnalités déviantes (Steve et sa moto, ou Trevor et sa chemise rose) sont éliminées pour éviter de corrompre la jeunesse… Simon ne critique pas vraiment cette société, il est conformiste, timide, et veut plaire. C’est sa faiblesse. Quant au personnage de anti-héros, Fanie van den Bergh, presque mutique et naïvement attaché à Simon, il sert surtout à souligner les défauts de son camarade.
Lewis Nkosi (1936-2013)
Né à Durban (Afrique du Sud), journaliste, il a enseigné la littérature dans différentes universités. Auteur de plusieurs essais consacrés à la culture et la littérature sud-africaines, de pièces de théâtre et de romans, il a reçu de nombreux prix littéraires.
Mandela et moi (2010)
Le jeune Zoulou Dumisani Gumede grandit dans le cadre pastoral des montagnes sud-africaines. Il a deux obsessions : séduire les filles, et Nelson Mandela, l’énergique leader de l’ANC alors recherché par tous les policiers du pays, qui incarne pour les noirs le courage et la virilité. Ces deux pôles gouvernent complètement sa vie, et sont tellement liés dans son esprit que l’arrestation de Mandela l’atteint physiquement…
Roman d’initiation atypique, comédie satirique, Mandela et moi évoque tout un aspect de l’histoire de l’Afrique du Sud. Les savoureuses anecdotes relatives à la vie quotidienne de la communauté zouloue laissent paraître la disparition progressive des traditions, dénaturées par le tourisme.
Mark Behr (1963- )
Né à Mbuyu près d'Arusha, au Tanganika (aujourd'hui en Tanzanie), où ses parents possédaient une ferme, Mark Behr est un écrivain d’expression afrikaans. À la suite de la nationalisation des terres appartenant aux fermiers blancs, la famille Behr émigra en Afrique du Sud, près de Durban.
L’odeur des pommes
(Die reuk van appels, 1993)
Ce premier roman traite du système de l'apartheid et de la mentalité afrikaner à travers les yeux d'un enfant de 10 ans. Dans les années 1970, le petit Marnus Erasmus grandit au Cap, dans une famille afrikaans exemplaire, et tente d’égaler sa grande sœur aux cérémonies de remise des prix. Ses parents sont d’ardents défenseurs d’une Afrique du Sud « blanche et pure ». Le père, officier haut-gradé de l’armée d’Afrique du Sud, reçoit souvent la visite secrète de militaires étrangers, venus soutenir le gouvernement de l’Apartheid. Cette fois, c’est un général chilien que la famille Erasmus accueille. Mais le passage de l’énigmatique M. Smith met à nu les failles et les vices de la famille. Marnus est le témoin muet de ces bouleversements, mais pas un instant l’enfant ne remet en cause l’idéologie paternelle, malgré quelques tentatives de sa sœur de lui ouvrir les yeux. Ce n’est que bien plus tard, engagé volontaire dans la guerre contre l’Angola, qu’il comprendra la portée cruelle de ce qu’il a vu, de ce qu’on lui a appris et de ce qu’il a tu, complice malgré lui.
Les rois du paradis
(Kings of the water, 2009)
JC Lattès, mars 2013, 20.90 €
Mark Behr raconte avec sensibilité l’histoire des retrouvailles d’un homme avec son pays et avec ses proches, sur fond de reconstruction post-apartheid.
Michiel Steyn vit confortablement en Californie avec son compagnon. : après de nombreuses années passées à l’étranger, il rentre enfin en Afrique du Sud, pour l’enterrement de sa mère. Il retrouve avec émotion les paysages et les odeurs de la ferme familiale, la bien-nommée Paradis, aux limites du Lesotho. Les souvenirs de sa jeunesse affluent : sa mère cultivée et ouverte, son père dur et réprobateur, la mort tragique de son frère aîné, ses jeux avec son amie Karien puis sa trahison,… et les raisons qui l’ont poussé à fuir sa famille et son pays.
Parallèlement, il mesure l’évolution des mentalités. Le pays, qu’il a fui en pleine période d’apartheid et d’homophobie, a-t’il vraiment changé ? La société et les mentalités ont évolué… dans une certaine mesure. Car les ouvriers noirs vivent toujours dans leurs tondavels miteux, et une réussite sociale comme celle de Lerato, (la fille de la domestique noire, devenue responsable dans une grande société internationale) est une exception... L’espoir réside sans doute dans les générations suivantes ?
Très beau roman, d’une grande puissance évocatrice, à la fois empreint de nostalgie et d’un regard réaliste sur l’évolution de la nation arc-en-ciel.
Troy Blacklaws (1965- )
Un monde beau, fou, cruel (2013), Flammarion, 19 €
Cruel, crazy, beautiful world (2011). Voir critique complète ici.
Malla Nunn
Elle a grandi au Swaziland avant de s’installer à Perth avec ses parents dans les années soixante-dix, et a étudié en Australie et aux États-Unis.
Justice dans un paysage de rêve
(A beautiful place to die, 2010)
En 1952, peu après la mise en place des lois ségrégationnistes, l’inspecteur Emmanuel Cooper est envoyé à Jacob’s Rest, une petite ville à la frontière du Mozambique, pour enquêter sur le meurtre d’un policier blanc, le capitaine Pretorius.
Comme le policier assassiné, Cooper est avantagé par sa connaissance de la langue zouloue et sa rapidité à la course. Il n’hésite pas à arpenter les sentiers de derrière, fréquentés normalement par les métis, et à questionner les gens de couleurs. Shabalala, le policier noir local, semble l’aider à contre-cœur, tandis que le jeune assistant blanc est carrément incompétent et contreproductif.
Très vite, la puissante branche policière de la Sécurité affirme son autorité sur l’enquête, bien décidée à attribuer le meurtre à des agitateurs communistes noirs. Quitte à extorquer des aveux sous la torture. Mais l’inspecteur Cooper, question de principe et d’humanité, tient à enquêter jusqu’au bout, ce qui lui vaut pas mal de coups ! Il découvre que le capitaine Pretorius était un homme beaucoup plus complexe que sa personnalité de chef de famille puritaine ne le laissait entrevoir…
Roman policier bien mené, très intéressant pour son regard sur une communauté où les tensions raciales sont exacerbées et les luttes de pouvoir parfois plus dangereuses encore. La violence affleure sous les dehors puritains des Afrikaners.
Huit ans après les plages de Normandie et les ruines de Berlin, on parlait encore d'esprit afrikaners et de pureté de la race dans les plaines africaines." (p. 12)
Les nouvelles lois ségrégationnistes officialisaient l'idée que la tribu noire et la tribu blanche avaient été créées par Dieu pour vivre séparées et se développer parallèlement. Chacune avait sa propre sphère naturelle." (p. 187)... D'après les nouvelles lois raciales, tout était blanc ou noir. Le gris avait cessé d'exister.
Les leaders de la tribu afrikaners faisaient grand cas des liens du sang. Leur organisation la plus secrète, le Broederbond, signifiait 'Les Frères de sang'. Que se passait-il quand le lien franchissait la ligne de couleur et rattachait le noir au blanc?" (p. 140)
Roger Smith
Né à Johannesburg, Roger Smith partage aujourd’hui son temps entre Le Cap et la Thaïlande. Il est producteur, réalisateur et auteur de scénarios.
Le sable était brûlant (Dust devils, 2011)
Alors que Robert Dell rentre avec sa famille du restaurant où ils ont fêté son anniversaire, leur voiture est délibérément poussée dans le vide par un 4x4. Robert Dell s'en sort de justesse, traumatisé par la mort de sa femme et de ses enfants. Mais ses ennuis ne sont pas finis, car l'exécuteur revient finir son contrat : Inja Mzibuko, zoulou sanguinaire dit "le chien", flic véreux au service du pouvoir, fait accuser Dell d'avoir volontairement causé la mort de sa famille. Envoyé en détention, Dell est brutalement kidnappé par l’être qu’il déteste le plus au monde, à savoir son propre père, un ancien mercenaire de la CIA. Commence alors un long voyage infernal dans une région zouloue corrompue, arriérée et sanguinaire. D’autres personnages marquants, malgré leurs efforts, ne font pas le poids dans le fief de Mzibuko : l'honnête flic Disaster Zondi, et Sunday la jeune zoulou qui veut échapper au mariage forcé avec « le chien », auteur du meurtre de toute sa famille.
Ecrit lorsque Jacob Zuma a pris le pouvoir. L’auteur voulait écrire un thriller qui se nourrisse de tout ce qui le mettait en rage dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui : corruption généralisée du monde politique, assassinats de 1 500 enfants par an, mariages forcés des jeunes filles et viols des vierges, certains hommes y voyant le remède absolu contre le SIDA. Le tableau est lugubre, criant d’une vérité insoutenable. Un roman trop long pour son intrigue, qui n'est finalement qu'une course poursuite semée de cadavres, mais qui laisse une impression forte de sauvagerie, de violence et de mort.
Nadine Gordimer
Vivre à présent
Roman écrit récemment, présentant des couples qui se sont formés à l'époque de l'apartheid et de l'homophobie, sortis à présent de la clandestinité, vivant overtement à Johannesburg. Quelle identité maintenant pour un couple blanc/noire de l'ANC ou homosexuel ? comment trouver sa place... Un sujet intéressant.
J.M. Coetzee
L'homme ralenti
Un auteur Sud-Africain... pour un roman Australien. Suite à un accident, Paul Rayment, soixante ans, perd une jambe. Refusant la prothèse qu'on veut lui greffer, il affronte la solitude et les affres du vieillissement, jusqu'à ce que Marijana, son auxiliaire de vie croate, réveille son cœur. Le roman est plus incompréhensible à partir de l'arrivée de l'écrivain Elizabeth Costello, double bavard...
Michael K., sa vie, son temps
Un jardinier ramène sa mère sur les lieux de son enfance. Elle meurt en route, mais il continue son périple malgré les obstacles. A partir de quelques graines retrouvées par hasard, il cultive son champ et crée son petit paradis. Mais la guerre ne s'arrête pas, elle, et bien vite le rattrape. Pourtant, malgré les emprisonnements, la cruauté et le dénuement, Michael K ne se pliera pas aux lois des hommes... Avec ce roman, J. M. Coetzee nous donne à lire une superbe parabole, à la fois sombre et éblouissante, sur la dignité humaine.