Orphelins de Dieu
Orphelins de Dieu
Marc Biancarelli
Actes Sud, 2014, 20 €
Corse, XIXe siècle. Vieux tueur à gages, Ange Columba, dit "l’Infernu", en bout de course, malade, est engagé par Vénérande, une jeune fille à demi folle de douleur et de haine après l’attaque sauvage et inutilement cruelle dont a été victime son jeune frère. Cette poursuite de la vengeance, ainsi que le lien qui se tisse peu à peu entre la jeune fille et le tueur, évoquent nettement le film des frères Coen, True Grit, (cité en exergue).
Ensemble, Ange et Vénérande traversent les régions reculées des montagnes corses, à la poursuite des bandits sans foi ni loi… que l’Infernu connaît bien, puisqu’il a combattu à leurs côtés lorsqu’il était plus jeune.
Peu à peu, le vieux tueur confie des lambeaux de son histoire à Vénérande, et les deux récits se mêlent, resituant les personnages à plusieurs époques et évoquant des pages sauvages de l’histoire de Corse. Ange Columba a rejoint très jeune l’armée de libération de Corse, qui a connu quelques succès sous les ordres du capitaine Poli. Lorsque cette armée autoproclamée a été chassée par les voltigeurs, elle s’est peu à peu transformée en groupe de mercenaires en Toscane et en Grèce, puis d’effroyables brigands en Corse.
p. 207 "Rappelle-toi, Vénérande, comment tout a commencé… Garde de moi cette seule image, moi qui marchais dans l’insouciance, les soldats de notre liberté chantant à mes côtés, et notre capitaine qui guidait notre espoir… nous étions l’armée du peuple et après nous il n’y eut plus personne…"
p.158 "Les guerres d’indépendance, quand c’est chanté par les poètes, ça va, mais quand on les vit en vrai on n’a pas envie d’en faire des chansons. Mais à la vérité, on n’était plus des héros depuis longtemps. On était des salopards. Ouais. Le drapeau on l’a laissé au pays, et après il a fallu survivre, et nous on savait faire que la guerre. Et à la guerre, tu tues des gens. Tuer, voler, passer de ville en ville, s’enfuir encore, plus loin, à chaque fois plus loin, et au bout d’un certain temps, tu as oublié pourquoi tu fais ça, mais ce qui est sûr c’est que tu ne sais pas faire autre chose."
Un roman puissant et cruel, à l’écriture parfaitement maîtrisée. L’auteur s’attache à ses personnages, à la fois violents et fascinants, ainsi qu’aux paysages corses. J’ai manqué un peu de repères historiques (exactions des Bleus p. 187, voltigeurs ?)… Mais peut-être ne faut-il pas en chercher, et s’intéresser plutôt à l’universalité de ce roman qui interroge sur ce qui pousse certains hommes au pire ?
Voir l'excellente critique d'Emmanuelle Caminade dans La Cause littéraire.
Aline