Les patriotes
Les patriotes
Sana KRASIKOV
Albin Michel (Terres d’Amérique), 2019, 593 p., 23.90€
Traduit de l’américain The Patriots (2017) par Sarah Gurcel
Née en Ukraine en 1979, Sana Krasikov a grandi dans l’ancienne République Soviétique de Géorgie, avant d’émigrer aux Etats-Unis avec sa famille. Pour ce livre, pensé et écrit entre 2005 et 2017, elle s’est inspirée de l’histoire de la mère d’un ami, Pauline Friedman, dont elle a pu récupérer les dossiers déclassifiés par la Loubianka. La première scène du roman est directement transposée de la vie de cet ami : le moment où, adolescent, il a retrouvé sur le quai d’une gare sa mère de retour du goulag.
Ce récit kaléidoscope, situé entre 1934 et 2008, couvre trois générations d’une même famille. La perspective varie selon le narrateur et l’époque.
1932, après la grande dépression, Florence Fein – New-Yorkaise d’origine juive russe, embarque pour l’Europe "construire le paradis rouge". "Florence elle-même n’était pas certaine de savoir après quel rêve elle courait : celui d’une humanité soviétique en général, ou celui d’un homme aux yeux noirs en particulier." "Elle n’était pas vraiment communiste. Insatisfaite, c’est tout. Elle voulait faire de sa vie quelque chose de grandiose" et aspirait à un idéal d’égalité, une meilleure vie pour tous.
Toute sa vie, son fils Julian essaie de comprendre les choix de sa mère, qui ont été lourds de conséquences pour lui. Pourquoi sa mère at-elle pu continuer à refuser de condamner le système qui a détruit leur famille et l’a envoyée au goulag pendant 7 ans. Il profite d’un séjour professionnel à Moscou pour réclamer les archives du KGB sur sa mère. Désormais Américain, il essaie de ramener aux Etats-Unis son fils Lenny, qui à son tour a choisi d’émigrer en Russie pour affaires… mais pas seulement.
Chaque génération a un rapport équivoque à ses origines, entre deux nationalités et deux mondes, et les relations entre les générations sont empreintes de d’incompréhension, chacune ayant dû supporter les conséquences des choix de la précédente. La loyauté de chacun des personnages est mise à rude épreuve. Bien que chacun se considère comme une bonne personne, les mauvais choix sont nombreux !
Cette saga m’a fait découvrir le destin des Américains ayant émigré en URSS dans les années 1930, qui se sont retrouvés piégés dans les années Staline. Le regard sur les relations diplomatiques et économiques entre US et Russie n’est pas sans rappeler la situation des années 2010 ! Dans un double discours, les dirigeants et médias américains se méfient de la menace rouge, de l’autre on continue à faire des affaires...
Les origines juives des personnages ont leur importance. Les juifs américains, venant d’un pays où l’on peut s’exprimer, partagent l’expérience des juifs russes. Pendant une courte période, après la révolution, et pendant la "Grande guerre patriotique", les origines juives en Russie ont été valorisées, mais dès lors que l’on sombre dans la période Stalinienne, l’identité juive est menacée et réprimée, et la "chasse aux ennemis du peuple" est partout. Pour survivre, il faut calculer tout ce qu’on va faire ou dire.
De nombreux autres personnages gravitent autour de ces trois narrateurs, dans un récit un peu complexe, touffu, mais passionnant. Coup de cœur de Renata et Aline.