Critique Le Naufrage de Venise d'Isabelle Autissier
Le Naufrage de Venise
Isabelle Autissier
Dans ce nouveau roman, Isabelle Autissier (présidente de WWF de 2009 à 2020) tire une fois de plus la sonnette d’alarme en imaginant la destruction maintes fois prophétisée d’une ville hautement symbolique, Venise la Sérénissime.
Le récit s’ouvre sur la catastrophe tant redoutée. Sous l’effet conjugué d’une forte marée et d’une puissante tempête, la cité des Doges est réduite à l’état de décombres. Des milliers de tonnes de pierres jonchent le sol ; le palais des Doges, la basilique
St Marc, le Pont des Soupirs, la Douane de mer, les palais centenaires sont réduits à l’état de ruines. Le bilan humain est très lourd avec des centaines de morts, des blessés, des disparus.
Tous les voyants pourtant étaient au rouge mais aucune décision n’a été prise par les politiques qui ont préféré adopter une position bien confortable justifiant leur inactivité, celle de la confiance absolue dans le MOSE.
Mais le MOSE (Modulo Sperimentale Ellettromeccanico) a été défaillant…
Ce système plébiscité et présenté comme remède miracle par tous les partisans de l’expansion sans limites du tourisme, a été mis en service en 2020 après un temps de construction décuplé et un budget de 6 milliards d’euros dont 1 milliard disparu en détournements.
Il repose sur une technologie dénoncée par les défenseurs de l’environnement car néfaste à la survie de la lagune. Soixante dix huit portes gigantesques ancrées dans du béton massif sont immergées et réparties sur les 3 entrées de la lagune ; elles sont censés réguler le niveau des eaux. Mais elles contribuent à long terme à la destruction inévitable de Venise.
A l’aube du XXème siècle l’équilibre maintenu pendant des siècles par les habitants entre la lagune et la ville, la terre et la mer, a été rompu au profit de l’industrie et du gain.
Le pompage de la nappe phréatique à des fins industrielles dans les années 1950, l’assèchement des sols pour construire des zones portuaires et aéroportuaires, le creusement de profonds chenaux, l’arrivée des énormes bateaux de croisière, la venue de 30 millions de touristes par an, la hausse du niveau de la mer due au changement climatique, provoquent l’effondrement de Venise.
La famille Malégatti adopte 3 prises de position qui représentent le passé, le présent et l’avenir de Venise mais aussi et surtout les réactions de la population mondiale face aux changements majeurs actuels.
Guido, le père, est issu d’une famille paysanne pauvre ; il a de l’ambition et le sens des affaires ce qui lui a permis de s’enrichir rapidement en investissant dans l’immobilier, d’occuper une place enviée dans la cité et d’être promu conseiller municipal chargé des affaires économiques. C’est son domaine et, pour lui, seule compte la manne financière : un milliard et demi par an apportés par le tourisme,
ça ne se discute pas !!! Il faut continuer à investir, attirer une clientèle riche ; le MOSE est la réponse sûre et indiscutable aux problèmes de Venise.
Maria Alba, la mère, descendante d’une lignée aristocratique désargentée, dont les ancêtres ont occupé des postes prestigieux, s’enferme dans un passé idyllique et se complaît dans un statu quo contemplatif.
Elle veut incarner la stabilité, la continuité. Sa vie s’écoule dans le luxe, le raffinement, l’art de vivre. Elle ne veut voir ni les transformations de sa ville ni celles de sa famille et reste, la plupart du temps, sur sa terrasse, alanguie dans sa balancelle à contempler ses fleurs.
Leur fille Léa, étudiante en art, découvre à 17 ans l’autre face de Venise, la décrépitude, les pierres fissurés, les enduits détachés des façades. Elle éprouve tristesse, colère et honte. Elle se révolte, se radicalise, fréquente des universitaires et des activistes auteurs d'un manifeste documenté et accablant « Sauver Venise ». Elle devient une militante active opposée aux projets de son père.
Dans ce récit bien écrit et très documentée, Isabelle Autissier veut nous alerter sur le déni généralisé face à un changement majeur de nos conditions de vie sur terre.
Chacun, de l’homme de la rue au grand décideur, croit ou veut croire que l’avenir ne sera pas aussi catastrophique que le disent les scientifiques, ou que la dégradation n’arrivera pas si vite, ou qu’on trouvera des solutions, etc.
Elle expose les raisons objectives d'une catastrophe annoncée, les arguments d'une situation économique fragile nécessitant des décisions très courageuses et le rappel du passé historique et culturel d'une cité qui a rayonné sur l'Europe et le monde pendant des siècles, et qui continue à attirer et séduire.
Isabelle Autissier a écrit d’autres romans toujours passionnants et je vous recommande particulièrement « Soudain seuls» un récit palpitant et dramatique sur la survie de l’être humain dans un milieu hostile aux conditions extrêmes.
Bonne lecture !
Annie Pin