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04/10/2013

Le quatrième mur

roman,liban,théâtreD’abord une histoire d’amitié, entre Samuel Akounis, réfugié politique grec qui a été torturé pour son opposition au régime de Papadopoulos, et Georges, le narrateur, activiste de gauche dans les années 1970. Une amitié faite d’admiration, de partage des valeurs de gauche et humanitaires, de camaraderie, et enrichie par un amour commun du théâtre. Tous deux sont metteurs en scène.

 

Le livre prend son tournant vers la tragédie lorsque Samuel, trop malade, demande à Georges de le remplacer pour mener à bien le projet de sa vie : « monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou un fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène… »

Geste de paix, de bonne volonté, goutte d’eau dans la mer…

 

Et Georges a dit oui. Il est allé  à Beyrouth, en 1982, au cœur de la guerre civile libanaise, et en particulier au moment du massacre de Sabra et Chatila.

 

Un livre coup de poing, qui rappelle l’époque de la guerre du Liban, un peu oubliée chez nous, mais qui a dû laisser de terribles traces chez ceux qui l’ont vécue. L’auteur ne prend pas position par rapport aux différentes factions, Georges se fait des amis, presque des frères, dans tous les « camps ». Ce récit tragique, mais pas voyeuriste, provoque un élan de compassion pour ce pays martyrisé où tous les partis semblent victimes et bourreaux. Il donne envie de se documenter sur le Liban, et de relire l’Antigone d’Anouilh.

 

L'auteur semble s'intéresser particulièrement aux guerres civiles, et aux combats de gauche. Il nous avait déjà persuadés avec son roman retour à Killybegs, situé, lui du côté des conflits en Irlande.

 

Le quatrième mur

Sorj Chalandon

Grasset, août 2013, 325 p., 19€

Du même auteur, lire aussi Retour à Killybegs,

30/09/2013

Faillir être flingué

roman,far westEn chariot, à cheval, en diligence ou à pied… les pistes des personnages semblent converger vers une petite bourgade en devenir, guère plus qu'un alignement de tentes et "quelques baraques en planches plus ou moins solides" du Far West, qui promet un espace de rencontres et de libre entreprise.

 

Des hommes audacieux qui ont tout laissé derrière eux, des paysans porteurs d'un rêve de ferme idéale, des aventuriers en quête de compagnie, des femmes chamanes, une musicienne voyageant avec sa contrebasse,  des idéalistes blessés, une patronne de saloon qui fait marcher les ivrognes au doigt et à l'œil, un éleveur de moutons angora… tous les personnages de Céline Minard sont extraordinaires, surprenants, pittoresques, parfois à la limite du burlesque.

 

Dans cet ouest sauvage, tout semble encore possible, les frontières entre les peuples sont encore poreuses : Elie vit un temps avec une tribu Pawnee, Josh commerce avec les indiens, Orage Grondant enterre une vieille pionnière comme son frère, Eau-qui-court-sur-la-plaine initie Gifford aux voies indiennes et un groupe de Chinois prend soin d'un vaquero blessé….

 

Et pourtant, le danger et la violence ne sont pas loin : bagarres, raids d'indiens ou escroqueries peuvent intervenir à tout moment, pour un regard mal placé ou surtout pour s'accaparer le bien d'autrui. Comme l'exprime Zébulon "On n'était pas dans un pays de droit" (p.59). Et comme le dit Elie Coulter en lui  dérobant sa monture "Si vous êtes incapable de voler un cheval sans scrupules, c'est que vous n'avez pas été élevé comme il faut." (p. 29).

 

Par-dessus-tout, ce que célèbre Céline Minard, c'est la beauté de l'ouest sauvage, espace de liberté et de danger, le lien avec la nature pourvoyeuse, les prairies qui bruissent d'une vie cachée. Le lecteur ressort du roman ébloui par la nature, nostalgique d'une époque qu'il n'a pas connue. Il lui prend l'envie de parcourir les grandes plaines de l'ouest et d'observer les oiseaux, de rencontrer ces hommes et ces femmes courageux, qui savent s'entraider face à l'adversité. 

Coup de cœur d'Yves et d'Aline

Faillir être flingué

Céline Minard

Rivages, juin 2013, 325 p., 20€

23/09/2013

La drôle de vie de Bibow Bradley

roman,amérique,guerre du vietnam"La vie affligeante de Bibow Bradley" aurait été un titre bien mieux adapté à ce récit. Robert Bradley, troisième du nom, après Bob le grand-père et Rob le père, tous deux tenanciers d'un bar minable, a "passé les premières années de son existence à tourner autour du bar de Franklin Grove", ville paumée de l'Illinois. Son éducation s'est faite plutôt à écouter les poivrots qu'à l'école, parce que "Chez les Bradley, on travaille pas avec sa tête !"

En juin 1964, il est envoyé au Vietnam, d'où en toute logique il aurait dû revenir sans un bras, puisque son grand-père était revenu de sa guerre (Normandie) sans un œil et son père de la sienne (Corée) sans une jambe. Sauf que Bibow a un don particulier, qui manque de le faire passer en cour martiale… mais finit par le faire repérer par la CIA, pour laquelle il remplit sans conviction de lamentables missions.

 

L'ensemble du livre est rédigé dans un langage familier qui pourrait donner une fausse impression de simplicité. Bibow obéit sans comprendre, puisqu'on ne lui explique jamais rien (ou feint de ne pas comprendre) mais  les critiques de l'Amérique profonde et du système sont implicites, et le lecteur se régale de ce double niveau de lecture.

 

La drôle de vie de Bibow Bradley

Axl Cendres

Sarbacane (EXPRIM'), 2012, 205 p., 15.50€

 

Pépite du Roman adolescent européen en 2012 au salon de Montreuil.

20/09/2013

Bouillon de rentrée 2013

Coups de cœur de l'été

 

Les saisons de Giacomo

Mario Rigoni Stern

L'auteur, originaire du Nord de l'Italie, côté Autriche, s'est mis à l'écriture sur le tard. Il situe le récit sur le Haut plateau d'Asiago, cadre de sa jeunesse, et décrit une vie de montagnard, ouvrier-paysan, depuis les années 20 jusqu'à la seconde guerre mondiale, y compris  sous Mussolini.

Claude

 

La servante du Seigneur

Jean-Louis Fournier

Nous avions aimé "On va où, papa ?", regard très humain, drôle et triste à la fois, sur la vie des deux fils handicapés de l'auteur. "Veuf" nous avait un peu moins plu. Revoilà Jean-Louis Fournier avec ses tribulations familiales. Sa fille, à la quarantaine, a suivi un gourou, et la voici "servante du Seigneur". Coupé de sa fille, l'auteur exprime son incompréhension totale. A la fin, elle dit ce qu'elle pense du livre.

Claude

 

La reine des lectrices

Alan Bennett

La Reine d'Angleterre découvre par hasard le plaisir et le pouvoir de la lecture. Lecture légère et très plaisante. Voir critique.

Georgette

 

Le rêve du village des Ding

YAN Lianke

Interdit en Chine, ce livre bouleversant est inspiré d'une réalité plus terrible encore.  Le rêve du village des Ding se penche sur le scandale du sida et du sang contaminé dans un village Chinois, où les plus belles âmes côtoient les plus vils profiteurs. Voir critique.

Ginette

 

Les choses comme je les vois

Roopa Farooki

Très beau récit, autour du syndrome d'Asperger.  Les scènes sont si bien brossées que l'on s'y croirait : Asif, tellement attentif à sa sœur Yasmine, a noté qu'elle ne mange que les aliments jaunes au petit déjeuner ; Yasmine, qui lave et relave indéfiniment la vaisselle lorsqu'elle est troublée ; etc. Un seul défaut : tout finit un peu trop bien. Voir critique.

Marie-Claire et Chantal

 

La lettre à Helga

Bergsveinn Birgisson

Récit épistolaire court et original, basé en Islande. Bjarni Gislason s'est occupé de sa femme jusqu'à la fin. Le voici maintenant âgé et veuf, qui écrit une longue lettre à Helga, la femme de son voisin, qu'il a toujours aimée. Une longue lettre à l'écriture charnelle, qui évoque les années 1940 dans une Islande frustre, et explique pourquoi –malgré sa passion pour Helga- Bjarni n'a jamais voulu quitter pour elle  sa ferme et ses brebis.

Marie-Claire

Mais les avis sont partagés, comme en témoigne la critique de Marie-Christine : Je n'ai ressenti aucune émotion et vu aucune poésie en lisant ce roman . Juste un homme lubrique qui aura été lâche toute sa vie. Même la lette montre son manque de courage. Heureusement une heure de lecture suffit pour ce roman.

 

Le garçon d'à côté

Katrina Kittle

Sarah, veuve, mène une vie assez équilibrée avec ses deux garçons, Nate et Danny. Ils s'entendent bien avec leurs voisins… jusqu'au moment où les voisins sont accusés de pédophilie, et où leur fils leur est retiré.  Ils recueillent Jordan.

Le milieu décrit est très américain.

Récit intéressant pour l'étude des répercussions que peut avoir la pédophilie sur l'entourage et sur les enfants. Le ton est juste, l'histoire choquante, mais pas glauque.

Jacqueline et Nadine

 

Je vais mieux

David Foenkinos

Un homme se réveille avec un terrible mal de dos : il en a littéralement plein le dos ! Il divorce, change de vie… Réflexion sur la place de l'individu dans l'entreprise, la crise de la quarantaine.

Jacqueline

 

Alex

Pierre Lemaitre

Une femme, infirmière intérimaire, est enlevée et séquestrée. Elle subit des sévices terribles. Pourtant, lorsque le commissaire chargé de l'enquête découvre sa prison, elle a disparu. Plus intelligente que son bourreau, elle a réussi à s'échapper. Un thriller glaçant, très bien maîtrisé. Du même auteur, nous avions aussi beaucoup aimé Robe de marié.

Jacqueline

 

Ne lâche pas ma main

Michel Bussi

En vacances en famille à la Réunion, une femme disparaît brusquement de son hôtel. Soupçonné, son mari s'enfuit –non sans raison- avec sa fille. De belles descriptions de La Réunion, ainsi qu'une intrigue bien menée, à l'instar des romans policiers précédents de Michel Bussi : Comme un avion sans elle et Les nymphéas noirs, prix Mes-Sou-Thu 2012.

Jacqueline

 

L'ombre douce

Hoai Huong Nguyen

Née en 1976 en France, l'auteur porte un prénom signifiant "Se souvenir du pays", ce qu'elle fait magnifiquement avec ce récit situé en Indochine en 1954. Elle évoque avec délicatesse une histoire d'amour dans la difficile période de la guerre d'Indochine. Voir critique.

Maryvonne

Il pleuvait des oiseaux

Jocelyne Saucier

L'auteur, originaire de l'Abitibi, évoque le souvenir des Grands Feux qui ont ravagé le nord de l’Ontario au début du XXe siècle : la chaleur était telle qu'il pleuvait des oiseaux. Une photographe souhaite rencontrer un vieil homme témoin des incendies, mais lorsqu'elle arrive dans sa retraite dans les bois, Boychuck est mort depuis peu. Seuls ses tableaux et les quelques vieux amis qu'il laisse derrière lui peuvent renseigner la photographe.

Thèmes : drame historique, amour de la forêt, liberté et vieillesse.

Jacky

L'équilibre du monde

Rohinton Mistry

Thèmes : Inde, vie de quartier, famille.

Bombay, 1975. Deux tailleurs, oncle et neveu, intouchables, s'installent chez une jeune veuve pour y travailler dans la confection. Un autre locataire, étudiant descendu de ses montagnes, a eu une vie plus privilégiée qu'eux. La cohabitation de ces quatre personnages met en évidence le système de castes, au moment où l'Etat d'Urgence est déclaré en Inde, et où grèves et manifestations font  rage dans le pays.

Une réflexion politique sur la situation en Inde, tout aussi intéressante que Une simple affaire de famille, présenté en avril 2012 au Bouillon.

Gisèle

 

Les années cerise

Claudie Gallay

La vie n'est pas toujours facile pour Pierre-Jean. Sa famille devrait quitter la maison au bord de la falaise, qui qui menace de s'effondrer à tout instant, ses parents se disputent, sa mère distribue des taloches, et lui-même collectionne les zéro… Heureusement il a aussi ses grands-parents et les chevaux. Roman sur l'adolescence, pour adolescents ou adultes : découverte de l'amour par un jeune garçon. Récit initiatique.

Gisèle

 

Crime d'honneur

Elif Shafak

Fille de diplomate, Elif Shafak est née à Strasbourg en 1971. Elle a un temps enseigné aux Etats-Unis, et vit aujourd'hui à Istanbul. Internationalement reconnue, elle est notamment l'auteur de La Bâtarde d'Istanbul (2007), Bonbon Palace (2008), Lait noir (2009) et Soufi, mon amour (2010). Dans ce roman, elle continue à développer le thème de la famille turque et des liens familiaux, ici compliqués par l’émigration d’une soeur en Angleterre.

Gisèle

 

Remonter la Marne

Jean-Paul Kauffmann

De Paris aux sources de la Marne à pied, récit de voyage aux multiples références historiques. Les avis des lectrices sont partagés, l’une a beaucoup aimé, tandis que l’autre a buté sur l’écriture.

 

Le Tao du vélo, petites méditations cyclopédiques

Julien Leblay

Dans la collection de livres de poche « Petite philosophie du voyage », chez Transboréal, voici un bon opus, constitué de petits essais philosophiques et humoristiques sur le voyage en solitaire à vélo.

Geneviève

 

Home

Toni Morrison

Démobilisé de la guerre de Corée, Frank Money rentre aux Etats-Unis traumatisé par sa période de guerre, en proie à des rêves terribles et à des crises d’angoisse. Il doit traverser le pays pour rejoindre en Géorgie sa sœur, atteinte d’une maladie très grave. Dans cette Amérique des années 1950, encore très ségrégationniste, les déplacements ne sont pas simples pour un noir, mais c’est en accomplissant ce voyage et en se replongeant dans ses souvenirs que Frank se reconstruit.

Geneviève

Profanes

Jeanne Benameur

Ancien chirurgien du cœur, Octave Lassalle n’opère plus depuis longtemps. A 90 ans, il décide d’organiser sa vie afin que ses dernières années se passent dans les meilleures conditions possibles, ce que sa richesse lui permet de faire. Il recrute avec soin quatre accompagnateurs, qui se relaieront nuit et jour auprès de lui, chacun possédant des compétences particulières. Le lecteur assiste à la mise en place de cette équipe et aux relations entre les personnages. Peu à peu sont révélées les faiblesses et les blessures de chacun, mais aussi leur capacité à les dépasser. Nous nous sommes interrogés sur la signification du titre, qui fait probablement référence à la seule foi que professe le docteur Lassalle : la foi en l’homme.

Marie-Claire, Aline, François

 

Reflets d’argent

Susan Fletcher

Voir critique d’Aline.

 

19/09/2013

Le rêve du village des Ding

roman étranger, Chine, SidaInterdit en Chine, ce livre est inspiré d'une réalité plus terrible encore. Les habitants du village de Ding ont vendu leur sang. C'est le père de l'auteur, Ding Hui, qui en a pris l'initiative, comme cela se faisait dans d'autres villages. Il s'est enrichi tandis que le sida (mesures d'hygiène inconnues) entraînait la souffrance et la mort des habitants. Tandis que le grand-père de l'auteur, professeur cultivé, essayait d'aider les malades en les hébergeant dans l'école qui ne fonctionnait plus, Ding Hui continuait éhontément à s'enrichir en organisant la vente de cercueils (en détruisant la forêt) et des "mariages dans l'au-delà" pour unir ceux que la mort avait séparés.

Un livre bouleversant !

 

Yan Lianke est né en 1958 dans la province du Hénan, au centre-est de la Chine. Il a publié plusieurs romans et nouvelles remarquables par leur sujet. Il écrit : "colère et passion sont l'âme de mon travail".

 

Le rêve du village des Ding

YAN Lianke

Ed. P.Picquier, 2007, 332 p., 20 €

Traduit du Chinois par Claude Payen

Ginette

03/09/2013

Reflets d'argent

"Il y avait un homme dans l’eau. Ou du bois flotté ? Des algues ? Non, c’était un homme, à n’en pas douter. Qui dérivait, ballotté par les vagues. Il avait les cheveux noirs, la barbe, la peau très pâle. Les yeux ronds comme ceux d'un phoque… Il semblait sourire, en flottant. Puis il leva les bras -les leva au-dessus de lui, joignit les paumes comme pour faire une prière- et jeta en avant ces bras qui fendirent l’eau du bout des doigts, suivis par sa tête et son corps qui formèrent un arc. Il plongea dans la mer et disparut.

L’espace d’un instant il n’y eut plus rien.

Puis, dans son sillage, il y eut une queue – une immense queue aux reflets d’argent… Et à cet instant, à cet instant précis, alors que la mer s’écrasait sur les galets de Sye, et qu’une mouette se posait sur les rochers tout proches, il entendit très clairement une voix. Ce n’était pas comme s’il y avait quelqu’un à côté de lui ; c’était une voix profonde et douce qui semblait l’environner au point que le fermier se tourna et se retourna.

Elle soufflait autour de lui : Espère.

La voix venait des falaises. Elle montait des galets. Il regarda mais il n’y avait que l’écume, moussante, et la blanche dentelle des eaux fendues, là où la queue avait surgi….

 

C’est étrange, comme tous les mythes. C’est une histoire familière aussi, car beaucoup de parents ont chuchoté le conte de l’Homme-poisson à leurs enfants… Il n’a pas d’âge, dit-on, et ne peut mourir. Il vit comme les poissons, dans le calme des profondeurs d’un vert dense, mais fait parfois surface pour jeter un coup d’œil vers la terre. Même de nos jours, il y a un habitant de l’île qui affirme avoir vu l’Homme-poisson -son sourire plein d’amour, ses écailles qui accrochent la lumière quand il plonge. D’autres disent, aussi, que si jamais on se sent réconforté, ou si jamais on entend Espère – ou bien encore Aie confiance, ou Tu n’es pas seul- en marchant au bord de la mer, en posant le pied dans un bateau, en observant la bâche secouée par le vent au-dessus du bûcher, en allant tirer les rideaux le soir et en s’arrêtant parce que les dernières lueurs sur l’eau sont superbes, comme de l’or, ou en contemplant les reflets de nos bottes dans le sable mouillé et ferme à marée basse, c’est que l’Homme-poisson passe. Il est près de la côte, regarde l’île. Il connaît notre peine –et souhaite qu’elle cesse.

 

C’était difficile à croire. Quand j’ai entendu Espère sur le rivage, c’était en moi que les paroles résonnaient et de moi qu’elles émanaient –avec moi seule pour réconfort, m’efforçant de me maintenir à flot. Mais quel mal y a-t-il à croire à de tels contes ? Le plus souvent, je me dis que c’est le mieux à faire."

 

Sur l’île de Parla, les légendes de la mer sont parfois préférées à la dure réalité. Parmi toutes celles que l’on raconte, la plus belle, ou la plus réconfortante, est celle de l’Homme-poisson. Aussi, lorsqu’un homme inconnu à la barbe noire est  retrouvé – amnésique et quasi nu- dans la crique de Sye, les insulaires ont-ils envie de croire qu’il est l’Homme-poisson, venu pour apporter un changement bénéfique sur l’île.

 

Car depuis 4 ans, où la mer a pris Tom, le plus grand, le plus jeune et le plus joyeux des frères Bundy, l’île est comme figée dans ses habitudes et dans sa tristesse. Marins et éleveurs de moutons triment en solitaires, les femmes se referment sur leur colère ou leur désolation, et on ne parle pas de peur de réveiller la douleur ou la culpabilité.

 

Susan Fletcher tisse un récit à la fois ancré dans la réalité et inspiré de légende. Elle écrit par vagues qui se recouvrent, entremêlant le quotidien des insulaires, leur fascination pour les contes, l’absence et le deuil. Son style est un peu particulier, et le lecteur « nage » un peu au début, le temps de situer les lieux et les personnages. Il peine à situer la narratrice, glaneuse des marées basses et pêcheuse de homards. Puis, peu à peu se dessine un paysage côtier et une histoire de plus en plus envoûtante.

 

île,mer,deuil,légendeLes reflets d’argent

Susan Fletcher

Plon (Feux croisés), 2013, 461 p., 22 €

Traduit de l’anglais par Stéphane Roques

 

Du même auteur, les lecteurs ont beaucoup aimé Le bûcher sous la neige

05/08/2013

Un verger au Pakistan

roman étranger,pakistan,prisonUn homme, jeune encore, mais malade et usé comme un vieillard, parcourt tous les matins des kilomètres en montagne pour assister au lever du soleil dans le verger de son enfance, lieu du souvenir et de l'innocence.

 

"Les oiseaux sont réveillés et, dans le verger, quelques hirondelles tracent des chemins sinueux entre les arbres, sous lesquels une mince couche de brume s'accroche encore au sol. Les grenadiers sont une espère robuste, ils n'ont subi presque aucun dégât après les gelées de l'hiver, bien qu'ils poussent à l'état sauvage et n'aient pas été élagués depuis un moment, ou alors par une main maladroite… Si j'avais les outils nécessaires, je serais tenté de m'en occuper, mais ce ne sont plus mes arbres, et ce n'est pas à moi de le faire…"

 

Recueilli par Abbas, un homme qui pratique encore la "melmastia", l'hospitalité traditionnelle, il se  rétablit peu à peu, réapprend à écrire pour se raconter à Saba, son amour de jeunesse... cause de son malheur et lumière de sa vie. 

 

L'écriture de Peter Hobbs parvient à une grande poésie dans la sobriété. Les pages sur sa jeunesse et sur la nature, contemplatives, célèbrent la vie, le parfum des roses, la beauté des grenades… tandis que celles sur ses années de prison laissent un goût amer de cruauté injustifiée.

 

"La colère s'est éteinte. Je n'ai aucun désir de vengeance. Je ne pense pas y être pour grand-chose. Je pense simplement que j'ai la chance de ne pas être submergé par la rage… A l'heure où je t'écris ces lignes, mes derniers ressentiments sont apaisés. Je ne cherche que la paix. Je cherche à devenir une meilleure personne que celle que je suis."

 

Un verger au Pakistan

Peter Hobbs

C. Bourgeois éd., 2013, 137 p., 14€

Traduit de l'anglais In the Orchard, the Swallows par Julie Sibony

17/06/2013

Le plus petit baiser jamais recensé

Histoire d'amour à la Boris Vian -en plus positif- entre un inventeur-dépressif et une femme invisible.

Laissé bien mal en point après l'explosion d'une bombe d'amour (traduire : la séparation brutale décidée unilatéralement par sa compagne), le narrateur, "homme-grenier" qui garde tout, a la peau à l'intérieur de son cerveau constellée de bleus qui ne s'effacent jamais". Alors qu'il commence tout juste à se rétablir, il embrasse une jeune et jolie brunette si timide que le moindre baiser la fait disparaître !

 

Commence alors une quête originale pour la retrouver, avec les conseils d'un vieux détective expert en pêche à la sirène, et d'Elvis, son perroquet pisteur-charmeur. Les talents d'inventeur de notre narrateur se révèlent bien utiles pour transmettre au perroquet le peu d'indices dont il dispose : le doux son de sa respiration légèrement asthmatique, et le goût de son baiser à l'ADN gourmand.

 

Ce court roman est délicieux, plein de trouvailles à déguster avec délectation. Il regorge d'inventivité et de vocabulaire original, absurde ou poétique. Comme dans La mécanique du cœur, l'auteur s'intéresse aux ressorts de l'amour et utilise des images pleines de légèreté pour exprimer des sentiments plus profonds.

En prime, la recette du chocolat au plus petit baiser jamais recensé et un livret de "sparadramours", poésies décalées érotico-charmeuses.

 

Chanteur du groupe de rock français Dionysos, Mathias Malzieu mène de front carrière littéraire et musicale.

 

roman d'amourLe plus petit baiser jamais recensé

Mathias Malzieu

Flammarion, 2013, 157 p., 17.50 €

04/06/2013

Ce qu'il advint du sauvage blanc

roman,australieAu milieu du XIXe siècle, Narcisse Pelletier, matelot sur la goélette Saint-Paul, s'éloigne un peu trop du groupe de marins parti à la recherche d'eau potable, et est abandonné sur une plage déserte d'Australie. Vingt ans plus tard, il est découvert par des marins anglais, et ramené de force à Sydney. Nu, tatoué, il a totalement perdu les usages "civilisés" et ne parle plus que la langue des "sauvages".

Octave de Vallombrun, riche correspondant de la Société française de Géographie, le recueille et se passionne pour ce sujet d'étude scientifique : un sauvage blanc.

 

Les chapitres alternent régulièrement entre l'histoire de Narcisse et les rapports envoyés par  Vallombrun au président de la Société de Géographie, 20 ans après.

 

Le lecteur apprend comment Narcisse a été abandonné sur la plage, désespéré et totalement démuni, puis comment il a survécu en intégrant –bien malgré lui-  une tribu d'aborigènes qui le recueille comme un enfant.

 

Parallèlement, Vallombreuse relate son retour forcé à la civilisation.  Totalement accoutumé à la vie sauvage de sa tribu, il a oublié jusqu'à son nom français. Il est maintenant Amglo, et ne comprend pas les usages auxquels on veut le contraindre : vêtements, pudeur, etc. Vallombreuse lui réapprend le français, et s'intéresse à sa vie dans la tribu, espérant en tirer un traité scientifique instructif. Cependant malgré tous ses efforts, il ne parvient pas à lui extirper de renseignements sur sa vie "sauvage".  Refus de la part du matelot, ou impossibilité de faire coexister en lui Narcisse et Amglo ? Le lecteur a la sensation que  Narcisse est déchiré entre deux mondes si différents qu'ils ne sont pas compatibles, ni même concevables l'un pour l'autre.

 

L'auteur a su rendre toute la bonne volonté de Vallombreuse, qui  parfois semble à deux doigts de comprendre vraiment Narcisse, mais son éducation et les pressions extérieures l'empêchent d'admettre ce que le lecteur d'aujourd'hui pressent.

A part l'impératrice -dotée de toutes les vertus- la société, étriquée,juchée sur ses certitudes, et cherchant surtout à satisfaire ses propres intérêts, ne comprend absolument pas la quête de Vallombreuse, ni le "cas" de Narcisse !

 

Ce roman d'aventures, robinsonnade doublée d'une approche ethnographique et psychologique intéressante, est inspiré d'une histoire vraie. C'est aussi un grand plaisir de lecture.

 

Ce qu'il advint du sauvage blanc

François Garde

Gallimard, février 2012, 21.50 €

Prix Goncourt du 1er roman

28/05/2013

A la vue, à la mort

policierDans la banlieue parisienne, trois meurtres effroyables sont attribués au même assassin : à chaque fois, la victime est retrouvée vidée de son sang, les yeux arrachés, dans une macabre mise en scène. L'enquête piétine, d'autant que le commandant Lanester, profiler chargé de ces homicides, est brutalement frappé de cécité.

 

L'affaire Caïn fait tellement écho en lui qu'il en perd son habituelle objectivité et son efficacité, et se retrouve à tâtonner dans l'obscurité… dans tous les sens du terme. Vulnérable, Lanester dépend du bon vouloir de son équipe et d'un chauffeur de taxi polonais dévoué, tandis que le criminel semble jouer avec lui au jeu du chat et de la souris.

 

Un bon, un très bon polar, haletant, à la hauteur de Cherche jeunes filles à croquer. Les séances de Lanester avec sa psy, qui l'aident à aborder peu à peu ses blocages, sont particulièrement soignées… ce qui ne surprendra guère sachant que l'auteur est elle-même psychologue. Rencontrée récemment à la librairie Murmure des Mots, Françoise Guérin est bien plus jeune que Jacynthe, son personnage, mais témoigne de la même attention à ceux qui l'entourent et à l'emploi des mots. Elle tient à donner une idée juste de son métier.

 

Prix du premier roman du festival de Cognac, ce roman a également été remarqué par France 2, qui le diffusera en téléfilm de 90 mn à l'automne. Pour en savoir plus, consulter le blog de l'auteur : mot compte double !

A la vue, à la mort !

Françoise Guérin, Le Masque, 2007, 6.60 €