Les porteurs d’eau
Atiq RAHIMI
P.O.L., 2019, 283 p., 19€
Dans une narration alternée entre la France et Kaboul, l’auteur suit le destin de deux Afghans : Tom, réfugié à Paris, qui a changé de prénom et de langue, s’habille et vit comme un Français ; et Youssef, porteur d’eau à Kaboul, tôt levé pour aller chercher de l’eau à la source pour les ablutions rituelles à la mosquée. Ces deux vies parallèles ne se rencontrent pas, mais toutes deux basculent le 11 mars 2001, jour où les Talibans détruisent les Bouddhas de Bâmiyân.
L’auteur, qui a lui-même quitté l’Afghanistan en 1984, a reçu le Goncourt en 2008 pour Syngué Sabour, pierre de patience. Dans ce roman-ci très bien écrit et bien construit, il aborde les thèmes de l’exil, de la clandestinité, de la trahison et du mensonge, du poids de la religion, et des non-dits.
La nuit du cœur
Christian BOBIN
Gallimard (blanche), 2018, 208 p., 18€
Christian Bobin vit près du Creusot, et voyage peu. Rare exception, son voyage à Conques, occasion de s’émerveiller devant l’abbatiale du XIe siècle. L’auteur excelle à décrire les beautés simples du monde. Il livre ses réflexions en chapitres courts, très apaisants et poétiques. La douleur et la mort sont conjurées par l’attention aux choses et aux gens.
Mon grain de sable
Luciano BOLIS
La Fosse aux ours
Traduit de l’italien Il mio granello di sabbia (1946)
Récit personnel de Luciano Bolis, résistant, arrêté en 1945 à Gênes par les fascistes. Torturé, il craint de craquer et tente de mettre fin à ses jours pour éviter la trahison. Il en réchappe, et deviendra par la suite un militant de la cause européenne.
Le bruit des trousseaux
Philippe CLAUDEL
Stock, 2002, 92 p., 10.70€
L’auteur raconte son expérience de visiteur dans les prisons pour donner des cours de français, tout en admettant que son point de vue est partiel, puisque lui ressort toujours.
Le lilas ne refleurit qu’après un hiver rigoureux
Martha HALL KELLY
Charleston, 2018, 573 p., 22.50€
Traduit de l'américain Lilac Girls par Géraldine d'Amico
Situé pendant et après la guerre de 39-45, le roman alterne entre trois femmes : Kasia, jeune résistante polonaise internée à Ravensbruck ; Herta, ambitieuse « soignante » allemande pratiquant des expériences dans le camp de déportation ; et Caroline, Américaine engagée, qui –après la libération du camp- a accueilli chez elle et procuré des soins aux « rabbits » ces femmes ayant servi de cobayes aux allemands. Premier roman de l’auteur, inspiré de faits réels et s’appuyant sur les archives laissées par Caroline Ferriday.
Les joyeux compères
Robert Louis Stevenson
Ed. Vagabonde, 2017, 136 p., 11.70€
Sombre nouvelle située en Ecosse, vers 1850, qu’on peut considérer comme précédant l’île au trésor. Terribles brisants aux abords de l’île d’Aros, les Joyeux Compères sont un piège redoutable pour les navires en perdition. Sur un îlot venté et battu par les flots, un jeune Écossais en vacances chez son oncle à moitié fou, décide de retrouver l’épave de l’Espirito Santo et son trésor englouti... Cette nouvelle traduction par Patrick Reumaux rend justice à la puissance littéraire de l’œuvre de R.L. Stevenson, avec de très belles descriptions.
Olga
Bernhard SCHLINK
Gallimard (Du monde entier), 2019, 267 p., 19€
Traduit de l'allemand par Bernard Lortholary
Allemagne, fin du XIXe, Olga, d’humble origine, et Herbert, fils de la haute bourgeoisie, sont amis d’enfance et deviennent amants malgré l’opposition de la famille. Tandis qu’Olga, de nature contemplative, devient institutrice, Herbert ne rêve que de voyages et d’exploits. Tournant autour du personnage positif d’Olga, cette romance douce-amère offre des tableaux de la vie quotidienne allemande et de ses classes sociales, et montre la montée du désir de puissance de l’Allemagne et du colonialisme.
La chambre des merveilles
Julien SANDREL
Calmann-Lévy, 2018, 272 p., 17.90€
Après un accident qui a plongé son fils adolescent dans le coma, une mère tente de le « réveiller » en réalisant « la liste de ses merveilles ». Elle a trouvé dans sa chambre un carnet listant tout ce qu’il aimerait faire, et réalise un à un ses souhaits d’adolescent pour pouvoir les lui raconter. Hymne à la vie, entre tragique et comique (décalage entre les rêves d’ado et la femme qui accomplit ces expériences). Ce n’est pas de la grande littérature, mais un feelgood book plutôt réussi.
L’infinie patience des oiseaux
David MALOUF
Albin Michel (Les Grandes traductions), 2018, 234 p., 20€
Traduit de Fly away Peter par Nadine Gassie
Australie, deux jeunes hommes sont réunis par leur passion de la faune sauvage, et rêvent de créer une réserve naturelle pour les oiseaux migrateurs. Engagés dans la guerre de 14-18, ils se retrouvent dans les tranchées. Elle-même passionnée d'ornithologie, leur amie journaliste raconte leur rencontre dans le Queensland. David Malouf, l’un des plus grands auteurs australiens, célèbre la vie et la beauté du monde dans ce roman de 1982, traduit pour la première fois en français.
Lèvres de pierre
Nancy HUSTON
Actes Sud (Domaine français), 2018, 233 p., 19.80€
Deux parties, traitées séparément. La première décrit l’enfance rurale de Saloth Sâr -arraché à un monastère bouddhiste- puis sa jeunesse avant de devenir Pol Pot, que l’histoire retiendra comme le responsable du génocide au Cambodge. La seconde évoque l’itinéraire difficile de l’auteur. Elle crée des liens ténus entre les deux (passage par les milieux littéraires parisiens) et interroge sur les abîmes que dissimule un sourire de façade. Impressionnant !
Ombres sur la Tamise
Michael ONDAATJE
L’Olivier, 2019, 279 p., 22.50€
Londres, après la guerre de 1939-45. Nathaniel et sa sœur Rachel, adolescents, sont confiés par leurs parents à un « tuteur », papillon de nuit aux activités mystérieuses, dans un milieu glauque. Nathaniel enquête pour savoir où et pourquoi sa mère a disparu. Ce livre dégage une réelle atmosphère, et présente des personnages pittoresques. Cependant l’écriture est peu fluide.
J’ai couru vers le Nil
Alaa EL ASWANI
Actes Sud, 2019, 432 p., 23€
Traduit de l'arabe par Gilles Gauthier
Le Caire, pendant la révolte des jeunes de 2011. Destinées d'une vingtaine de personnages autour de la place Tahrir, pas forcément liées : couple d’amoureux, étudiants en médecine, fille d’un responsable de la sécurité d’Etat, Coptes en situation précaire, présentatrice télé aux dents longues, enseignante engagée qui refuse le voile et la logique financière… Ce roman, dont la publication a été interdite en Egypte, fait beaucoup référence à la religion, et à la manière de l’interpréter ou de l’exploiter, ainsi qu’à la manipulation de l’opinion publique.
Du même auteur, nous avions beaucoup aimé L'immeuble Yacoubian et Chicago.
Salina, les trois exils
Laurent GAUDE
Actes Sud (Domaine français), 2018, 168 p., 16.80€
Un bébé est déposé par un cavalier à l’entrée du village. Dans une langue qui rappelle la tradition du conte oral, la vie de Salina est déroulée. Son enfance d’étrangère au village, la rupture d’un mariage décevant,… On retrouve le style mythique de La mort du roi Tsongor.
Le prix
Cyril GELY
Albin Michel, 2019, 223 p., 17€
10 décembre 1946. Le jour où Otto Hahn se rend à Stockholm pour recevoir son prix Nobel de chimie, son ancienne collaboratrice Lise Meitner le rejoint dans sa chambre d’hôtel. Dans un huis-clos intense, ils évoquent leurs 30 ans de recherches scientifiques communes, dans leur laboratoire de Berlin, avant que Lise, juive, ne doive fuir l’Allemagne. Complémentaires, liés comme les deux faces d’une même pièce, elle brillante physicienne/lui avec son approche de chimiste, ils ont découvert le processus de fission de l’uranium. Autour du noyau passionné de scientifiques, Edith, la femme d’Otto, attend la résolution de cette confrontation...
Chacun des personnages défend "sa" vérité, mais il est certain que cet épisode de l'histoire des sciences est symptomatique du peu de considération accordée à la contribution intellectuelle des femmes.
L’île
Sigridur Hagalin BJORNSDOTTIR
Gaïa, 2018, 272 p., 21€
Traduit de l'islandais Eyland par Eric Boury
Un homme isolé au fond d’un fjord islandais réapprend les gestes de survie des paysans d’autrefois. Le soir, il rédige son journal intime « annales de ce qui est advenu », afin de « rappeler comment le lien s’est rompu, comment la lumière a décliné et comment la nuit s’est abattue ». Dans ce récit post-apocalyptique, l’Islande se retrouve brutalement coupée du monde. L’auteur décortique les différentes étapes, de la compréhension aux réactions de la population, du gouvernement et des médias. Liens entre journalistes et politiques, manipulation de l’opinion, montée d’une forme de fascisme… ou comment utiliser le « Récit » d’un pays pour manipuler les foules en activant les peurs ancestrales. Un récit dépaysant, avec beaucoup de références à l’histoire de l’Islande, à sa culture et à ses paysages ; mais aussi universel pour le fonctionnement des politiques et les manipulations ! L'autrice est elle-même journaliste à la tête du service information de la télévision publique islandaise, et présentatrice du journal télévisé.