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Pour la première fois depuis plus de 50 ans, Salomon s’apprête à célébrer la Pâque juive sans sa femme, la merveilleuse Sarah, décédée il y a quelques semaines. Au matin de Pessah, le vieil homme se remémore les fêtes des années précédentes, au rituel immuable immanquablement troublé par de mémorables scènes familiales.
Il faut dire que la famille ne manque pas de personnalités, et que lui-même a toujours pris un malin plaisir à semer le trouble avec ses réflexions politiquement incorrectes. Rescapé des camps de la mort, il en éloignait le spectre en multipliant les blagues de mauvais goût sur la Shoah.
Comment viendra-t-il à bout des deux nuits de Seder sans la présence apaisante de sa femme, qui tempérait son côté provocateur et les colères homériques de leur fille cadette ?
L’auteur parvient avec tendresse à marier l’humour noir autour des traditions juives et des relations familiales, et une évocation émouvante du deuil chez un homme incapable d’exprimer ses émotions.
Starr, 16 ans, vit dans un quartier noir défavorisé des Etats-Unis, où la violence menace tous les jours, entre guerre des gangs et descentes de police musclées. Seule témoin d'une grosse bavure policière, elle s'appuie sur ceux qui l'entourent et l'aiment pour surmonter sa peur, s'affirmer et défendre ses convictions.
L'avis d'Eva, 15 ans :
"J'ai énormément aimé ce livre. Je pense qu'il m'a marquée à vie. Il est écrit à la première personne, ce qui m'a permis de rentrer dans l'histoire tout de suite. Et le sujet -la vie des noirs aux Etats-Unis- est passionnant car pour certaines personnes, la vie se passe réellement comme ça.
En une phrase, The Hate U Give a changé ma vision du monde. Et je pense qu'il changera la vôtre. J'avais déjà entendu ce genre d'histoire, mais le fait de lire ce roman m'a fait prendre encore plus conscience du problème. Malgré la gravité du sujet, je tiens à dire que c'est aussi un livre où on rigole, et qu'il est écrit de façon fluide, donc pas compliqué à lire.
En comme, je vous conseille de le lire."
Et voilà, c'est fait. Merci Eva pour ce super conseil de lecture ! Le personnage de Starr est une belle rencontre, et son entourage aussi. J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le livre à cause du langage partiellement "gangsta" de la première scène, mais ensuite j'étais scotchée par l'actualité du thème, la façon positive de le traiter malgré sa gravité, et la façon dont il fait réfléchir aux préjugés.
Le titre fait référence, je le précise pour les personnes aussi ignares que moi en rap, au nom du groupe de Tupac, THUG LIFE : The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody... Expliqué par Khalil, cela donne : "Ce que la société nous fait subir quand on est gamin lui pète ensuite à la gueule". Sages paroles.
En 1935, la narratrice du livre Eugenia est étudiante en lettres à Jassy dans le nord-est de la Roumanie. Ayant grandi dans une famille « ordinaire » qui partage l’opinion communément admise que les juifs seraient des étrangers et des parasites dont on préférerait qu’ils disparaissent, elle ne remet pas en question cette idée.
Tout bascule pour elle lors de la rencontre organisée par sa professeur de littérature Irinia Costas avec l’écrivain d’origine juive Mihail Sebastian, au sujet de son roman « Depuis 2000 ans » qui a rencontré un vif succès. Lors de cette réunion, il est agressé par une bande de néo nazis du mouvement nationaliste et intégriste « La Garde de fer », à laquelle adhère son propre frère, Stefan. Elle prend alors conscience de la vague de haine qui est en train de submerger son pays. Elle part à Bucarest, retrouve Mihail, et va vivre avec lui pendant 10 ans un amour non partagé.
A la mort de Mihail, renversé par un camion militaire soviétique en 1945, elle décide d’écrire le récit de cet amour sans retour et des atrocités dont elle a été le témoin comme journaliste avant de s’engager dans la résistance. Se mêlent ainsi tout au long du roman les deux voix, fictionnelle pour Eugenia qui assiste à la montée de la violence, et réelle pour Mihail Sebastian à travers les extraits de son journal, exprimant le dégoût et le désenchantement à l’égard de son pays. Lionel Duroy s’appuie sur le journal intime de l’écrivain roumain (auteur réputé de romans, récits et pièces de théâtre), qui couvre les années 1935-1944.
Il nous plonge dans l’histoire complexe de la Roumanie qui a pactisé avec Hitler et dont les grands intellectuels, Mircea Eliade, Emil Cioran, Eugène Ionesco,… ont, à des degrés divers, partagé l’idéologie. Adeptes ou sympathisants des thèses nationalistes et surtout antisémites, ils n'hésitent pas à les afficher sans vergogne devant leur "ami" Sebastian. Le 29 juin 1941, une folie anti sémite alimentée par des rumeurs infondées (on accuse les Juifs d’être des espions communistes apportant leur aide aux combattants soviétiques) et volontairement propagés a conduit la population de Jassy à se livrer à un terrible pogrom, à massacrer 13000 Juifs qu’ils côtoyaient quotidiennement. Des gens ordinaires sont ainsi devenus les assassins de leurs voisins.
Lionel Duroy nous fait réfléchir sur la place de chacun dans l’Histoire, la part du déterminisme familial et du libre arbitre dans nos choix et nos engagements, l’origine de la haine et de la violence, le rôle du journaliste, le témoignage, la façon dont on peut -ou pas- rendre compte de la réalité des événements. Faut-il, à l’instar de Malaparte, nier les faits, acquiescer aux bourreaux pour échapper à la mort et pouvoir ensuite faire éclater la vérité ?
Le roman de Lionel Duroy historique et philosophique ne laisse pas indifférent. Il pose des questions toujours d’actualité. On ne peut se contenter de le refermer et de l’oublier.
"Les deux étaient irrévocablement mêlés. La poule et l’œuf. Lequel est venu en premier ? Les bonhommes de craie ou les meurtres ?"
Suite à la réapparition d’un vieux copain, le narrateur, Eddie Munster, désormais professeur de littérature, revient sur les événements de sa jeunesse quarante ans plus tôt, pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer. Il remonte aux origines, fait une « virée sur le boulevard des souvenirs, un chemin sombre sur lequel les dressent des bonshommes de craie ».
En 1986, intello de la bande, un tantinet kleptomane, il traînait avec Le Gros Gav, Mickey Metal, Hoppo et Nicky la fille du pasteur. Quand le Gros Gav a reçu un seau de craies pour son anniversaire, ils s’en sont servis pour se laisser des messages secrets et fixer leurs rendez-vous. Mais peu à peu, tandis que leur petite ville était agitée par les passions suscitées par l’installation d’une clinique pratiquant des avortements, les bonshommes de craie sont apparus seuls, semblant attirer ou désigner des accidents… ou des meurtres !
Quels étaient les liens avec leur bande ? Quel rôle ont joué les adultes : le père d’Eddie un temps accusé ? Monsieur Halloran « l’homme pâle », révélateur ou coupable ? Ou le révérend Martin, prêtre évangéliste à la tête des « Anges d’Anderbury », un violent groupe anti-avortement ?
Pour progresser, Eddie doit se rappeler de « regarder derrière l’évidence… Nous partons du principe que les choses sont telles qu’elles paraissent parce que c’est plus simple, ça demande moins d’effort. Ça nous exempte de trop penser –en général à ce qui nous met mal à l’aise. Mais ne pas penser, c’est aller droit aux malentendus, et dans certains cas aux tragédies. »
Polar à l’ambiance macabre, allégée par un vocabulaire parfois fleuri, dont la construction atypique très réussie interroge sur la culpabilité, les apparences, et les mécanismes de la mémoire. Repéré dans la sélection des libraires au salon du livre de Bron, c’est mon coup de cœur parmi les polars lus récemment.
Et je finirai sur une définition du karma, donnée par monsieur Halloran : « Tu récoltes ce que tu sèmes. Tes mauvaises actions reviendront te mordre les fesses un jour.» Qui pourrait attirer la tirade de Gros Gav « Quel ramassis de cowboys puants !»
Sentrô Tsujii travaille depuis quatre ans sans prendre le moindre jour de congé, pour rembourser ses dettes à celui qui lui a donné sa chance à sa sortie de prison. A Tokyo, dans la rue commerçante des Cerisiers, il passe toutes ses journées debout derrière les plaques chauffantes de son échoppe, et confectionne les dorayaki efficacement mais sans passion.
C’est alors que survient madame Tokue Yoshii, qui lui fait découvrir des saveurs inattendues avec sa pâte « an », la pâte de haricots confits dont on farcit les crêpes dorayaki. A 76 ans bien comptés, elle souhaite ardemment travailler avec lui dans l’échoppe, et remet totalement en question sa façon de travailler. Les descriptions sont si précises qu'on croirait la voir choisir avec soin les haricots azuki et "écouter leur voix" à la cuisson !
Elle transmet à Sentro son plaisir de bien cuisiner, redonnant un sens à son travail quotidien. A son tour, il s’attache à la confection de bonnes pâtisseries, et imagine même d’innover.
Si le roman s’arrêtait là, ce serait déjà un grand plaisir de lecture, une histoire positive de transmission entre générations et d’amour du travail bien fait. Deux sujets qui me tiennent à cœur. Mais le récit acquiert une profondeur supplémentaire avec le secret des doigts tordus de la vieille dame, en lien avec sa vie dans le quartier clos de Tenshoen. Et là, c’est à une page tragique de l’histoire du Japon que l’on s’intéresse, avec compassion. Je ne vous en dirai pas plus, à vous de lire ce roman pour découvrir peu à peu la vie de ces héros du quotidien.
Un roman touchant, qui a donné lieu à un beau film éponyme en 2015.
Richard Wagamese nous avait émus avec Les étoiles s’éteignent à l’aube (Medicine Walk, 2014). Les éditions Zoé remontent le fil de ses écrits en publiant Jeu blanc (Indian Horse, 2012). Considéré comme son chef d’œuvre au Canada, le roman développe deux thèmes spécifiquement canadiens : le hockey sur glace, et l’effacement de la culture indienne.
C’est depuis le centre de soins New Dawn « la nouvelle aube » que le narrateur rédige son histoire personnelle, comme un récit thérapeutique. Saul Indian Horse, du Clan des Poissons, des Ojibwés (Anishinaabes) du Nord de l’Ontario, évoque ses jeunes années : « J’ai grandi dans la crainte de l’homme blanc. Il s’avéra que j’avais raison » (p. 17). "Ma sœur Rachel disparut à six ans, avant ma naissance, laissant un spectre au sein de notre camp... En 1957, quand j’avais quatre ans, ils prirent mon frère, Benjamin. » Ses parents détruits errent d’un camp provisoire à l’autre, suivant le travail saisonnier et le whiskey : les enfants enlevés sont remplacés « par des bouteilles brunes pleines de mauvais esprits ». Sa grand-mère Naomi essaie de le protéger en l’emmenant sur les terres ancestrales du clan vers les lacs Gods et en lui transmettant la culture ojibwe et le lien avec son grand-père chaman Shabogeesick. Mais lorsque le vent du nord se met à souffler lors d'un hiver trop rigoureux, elle est forcée de rejoindre la civilisation.
C’est alors au tour de Saul d’être interné au St Jerome’s Indian Residential School, où il rejoint la cohorte des enfants enfermés pour être désindianisés plutôt qu’éduqués. « à l’intérieur, l’odeur de javel et de désinfectant était si forte que j’avais l’impression que la peau pelait à l’intérieur de mon nez » (p. 53). Récurés à vif, tondus, battus à la moindre erreur, avec interdiction de parler l’ojibwe, les enfants y sont brisés, poussés à la folie ou au suicide. « St Jerm’s nous décapait, laissant des trous dans nos êtres ». (p. 91) « Ils appelaient ça une école, mais ça n’en fut jamais une. Nous passions le plus clair de nos journées au labeur. Le seul contrôle portait sur notre capacité à tenir le coup… Mais ce qui nous terrifiait le plus, c’étaient les assauts nocturnes ».
Initié par le Père Leboutilier au hockey, Saul se passionne pour le jeu. Autorisé à pelleter la neige et à entretenir la glace de la patinoire de fortune, il s’entraîne en cachette, utilisant du crottin comme palet. Phénomène du hockey, il possède une vision du jeu extraordinaire : « Je voyais les propriétés physiques du jeu et l’action, mais aussi l’intention. Si un joueur pouvait contrôler une partie de l’espace, il pouvait contrôler le jeu ». Le hockey est son plaisir et son espace de liberté, il l’élève au-dessus de son statut de victime. Sport d’équipe, c’est aussi un lieu de camaraderie : « Dès l’instant où je touchais la glace, tout cela était derrière moi… Dans l’esprit du hockey, je croyais bien avoir trouvé une communauté, un abri et un refuge, loin de toute la noirceur et la laideur du monde ». Au fur et à mesure qu’il progresse, il doit s’endurcir au contact d’équipes de plus en plus performantes, mais aussi se confronter au racisme qui règne dans le Canada des années 1970, où « Les blancs croient que ce jeu est à eux » (p. 107).
Incapable de poser ce livre, je l’ai lu d’un trait, en tension entre les visions de culture indienne, les mauvais traitements, l’évasion procurée par le jeu, les injustices et la colère. Suspendue aux émotions de Saul et avide de comprendre comment il se retrouve en centre de désintoxication… et comment il s’en sort.
Pour rendre l’ambiance de l’institution St Jérôme, l’auteur s’est inspiré de témoignages recueillis en 1979 lorsqu’il était journaliste, et qui transparaissaient déjà dans son premier recueil de poésie Runaway Dreamsavec « For Generations Lost » et « Graveyard ». Les liens avec son histoire personnelle sont nombreux : sa longue pratique du hockey lui permet de nous faire ressentir la sensation de liberté et la joie sauvage du hockey « the shining white glory of the ring ». Très jeune, l’auteur a été retiré à sa famille biologique et placé dans des foyers d’accueil, dont il s’est enfui pour mener une vie chaotique. En tout cas, il admet que l’écriture du roman l’a aidé à ressentir moins de colère par rapport à sa jeunesse.
Les jours heureux, proches de la nature et du mode de vie indien traditionnel, sont contés dans un style de « réalisme magique », en opposition aux moments sombres de St Jérôme, relatés avec une grande sobriété. Wagamese insiste plus sur la résilience que sur les mauvais traitements. Il exprime sa vision dans un entretien passionnant en 2013 à UBC : Oui, tout ceci est arrivé, et c’est une honte. Mais la (ré)conciliation doit se faire.
Richard Wagamese s’est construit lui-même. N’ayant pas fréquenté l’école plus loin que le grade 9 (3ème), il a passé une bonne partie de son adolescence dans les bibliothèques, et dit avoir fait lui-même son éducation entre les couvertures des livres. A 24 ans, après avoir trouvé ses racines, il a compris que l’une des missions principales de sa vie serait d’être un raconteur d’histoires. Bien joué, monsieur Wagamese !
« Tant qu’il n’a pas été lu, un livre n’est pas vraiment achevé » Toutes les intentions et l’énergie que l’auteur a insufflées à ce livre continuent à vivre malgré son décès en mars 2017. A lire, donc, absolument.
A voir : Une version filmée du roman est sortie en 2017, avec John Alsosa, récompensée aux festivals de Toronto, Calgary et Vancouver.
Lire aussi Les étoiles s’éteignent à l’aube (éd. Zoé, 2016), ainsi que le roman qu’il préférait dans son œuvre Ragged Company (autour des sans-abri), non encore traduit. Parions que les éditions Zoé, qui ont fait un excellent travail avec ses deux derniers romans, vont continuer les traductions.
Au 13ème siècle, sous la protection de Louis IX, des petites communautés de béguines se sont établies à travers le royaume de France. Un grand béguinage a été créé à Paris dans le quartier du Marais pour accueillir des femmes pieuses, veuves ou célibataires. Ce refuge leur offre une alternative à la tutelle d’un époux ou de l’Eglise. Elles peuvent, par choix, vivre, travailler ou étudier comme bon leur semble, libérées de toute autorité hormis celle du roi. Elles forment une communauté de femmes libres et indépendantes.
L’histoire se situe au début du 14ème siècle, au moment où le roi Philippe Le Bel fait arrêter les Templiers, et où l’intolérance se développe. Les béguines, trop libres, trop cultivées, sont dans le collimateur de l’Inquisition. Un événement dramatique va précipiter la fin du béguinage. Marguerite Porete, béguine de Valencienne écrit un manuscrit intitulé « Le Miroir des âmes simples et anéanties ». Elle critique les clercs et théologiens et loue l’amour direct pour Dieu, en dehors de toute institution. Considéré comme hérétique, son manuscrit est brûlé. Cependant Marguerite persiste dans ses convictions et continue à écrire. Arrêtée, elle ne renie rien et est brûlée vive place de Grève à Paris en 1310.
Sur ce fond historique Aline Kiner brosse le portrait de femmes attachantes, à forte personnalité. Maheut, une adolescente rousse (à l’époque ce détail a son importance) mariée contre son gré à un mari violent, qui fuit et trouve refuge dans ce havre de paix ; Isabel la doyenne, herboriste et guérisseuse ; Ade, lettrée, belle et noble que la vie a rendue amère ; et Jeanne du Faut femme entreprenante, négociante en tissus de qualité et responsable d’un atelier de tisseuses, fileuses, brodeuses. Humbert, un moine franciscain, recherche Maheut et son destin va être lié à celui des béguines.
Passionnant, divertissant, très documenté, d’un intérêt historique, culturel et social incontestable, le roman d’Aline Kiner fait découvrir dans cette fresque palpitante un Moyen-Âge méconnu. C’est à la fois un voyage au cœur de Paris, ville grouillante et animée, pleine d’odeurs et de bruits et en même temps la découverte plus intime et délicate, presque secrète, d’un béguinage royal au cœur du Marais.
Ce roman nous fait vivre cette expérience sociale et spirituelle de l’intérieur, comme un bel hommage rendu à ces femmes d’exception.
Traduit du mexicain Campeon Gabacho par Julia Chardavoine
Liana Levi, janvier 2017, 363 p., 22 €
Liborio n’a rien à perdre, puisqu’il n’a jamais rien eu. Jeune Mexicain, il a traversé le Rio Grande au péril de sa vie, s’est échappé d’un esclavage moderne dans les champs de coton, et a trouvé provisoirement asile dans une librairie. Certes, son patron l’agonit d’insultes fleuries à longueur de temps, mais il l’encourage aussi à lire tout ce qui lui tombe sous la main, et à se forger ainsi une culture toute personnelle.
Le roman s’ouvre sur une scène de rue : Liborio fonce à la défense d’une jolie « gisquette » qui le fait rêver depuis longtemps, lorsqu’elle se fait importuner par un petit caïd local, un « fils de pute qui lui a palpé le cul avec ses doigts mycosiques ». Réaction dangereuse lorsque l’on est un clandestin, seul, et pas bien grand. Liborio s’en sort par miracle grâce à un crochet du droit foudroyant, qui va changer sa vie : la bagarre a été filmée, et fait le tour des réseaux sociaux, déchaînant haines, spéculation ou soutiens…
Entrecoupé de flashbacks sur l’itinéraire du jeune Mexicain, le récit est mené tambour battant, dans un langage fleuri. Les dialogues ébouriffants, puisent –à bon escient- dans les registres les plus littéraires ou les plus crus, parsemés de spanglish, métaphores et néologismes. Ce style unique fait une bonne partie du charme du roman, ainsi que le personnage de Liborio, dur au cœur tendre, qui ne doit sa survie à sa volonté farouche, à ses poings et à son jeu de jambes.
Brillant roman d'apprentissage -et premier roman- écrit à 19 ans par Aura Xilonen (née au Mexique en 1995) qui poursuit actuellement des études universitaires de cinéma. Julia Chardavoine, dont c’était le premier roman traduit du mexicain au français, a réalisé un remarquable travail de traduction…et de création ! Elle en parle ici.
1975, Saigon est en pleine déroute, un général de l'armée du Sud Vietnam et son ordonnance dressent la liste des rares privilégiés qui pourront bénéficier d’une place dans un des derniers avions à décoller encore de la ville, tandis que la panique gagne la ville. Ce que le général ignore, c'est que son aide de camp est un espion Viet Cong. Empreint de culture américaine, en bon infiltré, il voit les bons côtés du monde occidental tout en conservant sa loyauté aux communistes.
« Je suis un homme à l’esprit double. Simplement je suis capable de voir n’importe quel problème des deux côtés. Quand je constate à quel point je suis incapable de regarder le monde autrement, je me demande s’il faut parler d’un talent. Après tout, un talent est une chose que vous exploitez, et non une chose qui vous exploite. »
Au prix de décisions dramatiques, qu’il sait parfois injustes, il parvient à rester dans l’ombre aux côtés des dirigeants Vietnamiens exilés en Californie, et à transmettre des informations sur leurs chimériques combats dans ses lettres codées aux camarades communistes restés au Vietnam. Il y sacrifie toute vie personnelle, et même son intégrité. Finalement la seule loyauté qu’il conserve jusqu’au bout est celle qu’il ressent pour ses deux amis d’enfance, ses frères de sang Bon et Man.
« Je suis un espion, une taupe, un agent secret, un homme au visage double. » Ainsi commence la longue confession de cet homme, dont l’identité a été double dès le plus jeune âge : bâtard eurasien caché d’un prêtre catholique, ayant grandi à Saigon mais fait ses études aux Etats-Unis, agent double communiste infiltré dans l’armée du Sud-Vietnam. Piètre assassin, ni volontairement tortionnaire, ni innocent, taxé par les communistes « d’américanisme réactionnaire », il subit à son tour la torture de la rééducation et tente par sa confession de prouver sa loyauté à la cause communiste.
Au passage, l’auteur en profite pour introduire une satire de l’hypocrisie des politiciens américains, et de la mise en scène de l’histoire par la machine de propagande Hollywoodienne.
« Les Français me faisaient pitié, avec leur naïveté à penser qu’il fallait visiter un pays pour l’exploiter. Hollywood était beaucoup plus efficace : il imaginait les pays qu’il voulait exploiter… Cette guerre était la première dont l’histoire serait racontée par les vaincus et non par les vainqueurs, grâce à la machine de propagande la plus efficace jamais créée… »
Mais où se situe la vérité ? où sont les innocents ? « Que font ceux qui luttent contre le pouvoir une fois qu’il ont pris le pouvoir ? Que fait le révolutionnaire une fois que la révolution a triomphé ? Pourquoi ceux qui réclament l’indépendance et la liberté prennent-ils l’indépendance et la liberté des autres ?... Quant à nous, quel temps il nous aura fallu contempler le rien jusqu’à voir quelque chose ! »
Comment expliquer l’immense succès planétaire de ce livre traduit en 42 langues et tiré à 8 millions d’exemplaires ? Tout simplement parce qu’il est passionnant !
Yuval Noah Hariri, professeur d’Histoire à l’Université de Jérusalem (spécialiste du Moyen-Age), brosse, dans une vaste fresque, notre histoire du Néolithique à Google, dans un langage simple et limpide. Il tisse le fil de sa narration de façon chronologique, en partant du début, de la Préhistoire, ce moment où l’Homo sapiens n’était qu’une espèce parmi d’autres, un simple maillon dans la chaîne alimentaire.
Il y a 100 000 ans, la Terre était habitée par au moins six espèces différentes d’hominidés. Une seule a survécu. Nous, les Homo Sapiens. Comment notre espèce a-t-elle réussi à dominer la planète ? Pourquoi nos ancêtres ont-ils uni leurs forces pour créer villes et royaumes ? Comment en sommes-nous arrivés à créer les concepts de religion, de nation, de droits de l’homme ? A dépendre de l’argent, des livres et des lois ? Quel est notre rapport au bonheur ? Sommes nous plus heureux maintenant ? Bien sûr, notre situation s’est améliorée mais nos attentes augmentent car le capitalisme et le consumérisme, ces nouveaux mythes, nous répètent que nous devons sans cesse en vouloir plus.
Dans ce livre érudit et provocateur Harari raconte avec clarté, précision et humour, cette longue évolution en mêlant histoire, biologie, philosophie et économie ; ses analyses sont pertinentes et novatrices. Il met bien en évidence les répercussions sur nos conditions de vie actuelles de chaque étape importante franchie au cours des siècles. Il souligne la force des mythes pour fédérer l’Humanité et permettre d’avancer ensemble pour le meilleur ou le pire.
A la fin du livre, Yuval Noah Harari aborde l'évolution de la sélection naturelle, et sa fin peut-être toute proche, causée par les recherches menées par les laboratoires du monde entier et pose la question : Les humains veulent-ils utiliser la technologie pour se transformer en dieux ?
Un livre percutant, extrêmement intéressant que je vous recommande particulièrement. A noter que le deuxième livre de Yuval Noah Harari « Homo Deus une brève histoire de l’avenir » vient de paraître.