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Critiques de livres - Page 20

  • Le détroit du loup

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    Le détroit du Loup

    Olivier Truc

    Métailié, 2014, 19€

     

    Nous retrouvons, dans ce nouveau roman, Klemet et Nina enquêteurs pour la police des rennes dans Le dernier Lapon, premier roman policier à succès d'Olivier Truc.

    L'auteur reprend un thème qui lui tient à cœur, le monde des éleveurs Sami, héritiers d'une longue tradition lapone. C'est la saison de la transhumance des rennes qui, comme chaque année depuis des décennies, se dirigent sur l'île de Kvaloya où ils retrouvent les pâturages, gages de leur survie. Ils doivent traverser le détroit du Loup et c'est là qu'un drame se noue. Une panique inexplicable s’empare des rennes et entraîne la mort d'un jeune éleveur, Erik Steggo, porteur de beaucoup d’espoirs pour les Sami.

    Cette arrivée des rennes, précisément à cet endroit là, en dérange plus d'un car les pâturages se trouvent à Hammerfest, petite ville en pleine mutation depuis les années 1970 suite à la découverte de riches gisements de pétrole et de gaz. Évidemment les intérêts des uns et des autres sont diamétralement opposés.

    Plusieurs meurtres ont lieu et, à travers l'enquête menée par Klemet et Nina, Olivier Truc nous fait découvrir le monde pétrolier, dur, implacable, cynique, pour qui seul le gain compte. Il nous fait connaître l'univers de la plongée industrielle et toutes les vies qu'elle a brisées physiquement et psychologiquement au mépris de la sécurité. Des hommes ont connu des destins terribles.

    L'intrigue se double d'une quête de Nina à la recherche de son père, victime de cet univers qui fait fi de l'existence des plongeurs qu'elle exploite.

    Le récit se déroule sous un soleil omniprésent avec une lumière intense et presque continue qui n'est pas sans influence sur les hommes.

    J'avais beaucoup aimé Le dernier Lapon, prix Mes-Sou-Thu en 2013. Ce qui m'a plu dans Le détroit du Loup, c'est essentiellement les univers décrits par Oliver Truc. J'ai trouvé l'intrigue policière inutilement alambiquée mais, vous l'avez compris, l'essentiel n'est pas là. Un bon livre mais, mais si nous n'avez pas lu Le dernier Lapon, je vous conseille de commencer par ce premier roman.

    Annie

  • Les arpenteurs

    roman étranger,etats-unis

     

    Les arpenteurs
    Kim ZUPAN
    Gallmeister (Nature Writing), 2015, 23.50€
    Traduit de l’américain The Ploughmen par Laura Derajinski

    Ce roman est avant tout le récit d’une relation complexe entre deux hommes aux antipodes l’un de l’autre, un assassin et son geôlier :

    John Gload, vieux criminel récidiviste, s’est enfin fait pincer et attend son procès dans la prison du Montana.
    De l’autre côté des barreaux, un jeune adjoint au shérif est astreint à passer des nuits de surveillance dans la prison. Valentine Millimaki essaie d’exercer son métier avec humanité (contrairement à certains collègues !), mais souffre de sentir sa vie et son mariage, lui échapper chaque jour un peu plus.

    "Dans le cadre de ses fonctions au bureau du shérif, il passait son temps à enquêter sur des délits ruraux et endurait son quota d’heures requises dans le vieux bâtiment de la prison adjacent au tribunal du comté. Mais il préférait le travail sur le terrain, au grand air, avec son chien de berger de trois ans [Tom] à pister les disparus dans la forêt, la broussaille, les canyons abrupts, des terres vierges, ces coins oubliés ou non référencés sur les cartes qui ne donnaient qu’une approximation de notre place en ce monde.
    Il les retrouvait parfois, écorchés ou couverts d’ecchymoses, boitant sur une cheville fracturée, ou d’autres encore à un stade avancé d’hypothermie… Mais depuis plus d’un an, maintenant, il n’avait retrouvé que des cadavres."

    Hanté par son armée de fantômes personnels, Millimaki est un homme vulnérable. Peu à peu, souffrant tous deux d’insomnie, John Gload et lui ont de longues conversations, et en viennent à une certaine compréhension l’un de l’autre… peut-être parce qu’ils partagent, chacun à sa façon, une proximité excessive avec la mort. …A moins que tout cela ne soit que manipulation de la part de John Gload !
    "Je ne sais pas si j’ai ce qu’on peut appeler une âme, Val, mais je sais la reconnaître chez les autres. Vous en avez une. Je l’ai vue toute barbouillée sur votre visage dès que je vous ai croisé".

    D’une beauté puissante, les Arpenteurs explore la frontière floue entre le bien et le mal. Pour l'auteur, qui oppose le huis-clos de la prison aux immenses espaces nord-américains, le Montana sauvage est une présence constante dans le récit, émaillé de descriptions de la nature. Malgré sa longueur et sa noirceur, j'ai été emportée par la puissance de ce roman et la complexité de ses personnages.

    Kim Zupan a exercé de nombreux métiers, il a fait des rodéos, travaillé comme pêcheur, charpentier, enseignant…

    Aline

  • Venise n'est pas en Italie

    Roman, famille

     

    Venise n’est pas en Italie

    Ivan CALBERAC

    Flammarion, mars 2015, 250 p., 18€

     

    Montargis. La famille d’Emile vit sur son terrain… mais dans une caravane en attendant un hypothétique permis de construire. Sa maman ne se préoccupe pas de son apparence, mais tient pourtant à décolorer les cheveux d’Emile « Tu es plus beau comme ça ».  Son père, VRP expansif, dirait n’importe quoi pour convaincre, et remporter une vente ou une discussion. Fabrice le grand frère, engagé dans l’armée, est facilement brutal avec son frère lorsqu’il rentre en permission. Tous ont la main leste et la morale un peu élastique. Dans cette famille haute en couleurs, voire vulgaire, Emile ne se sent pas à l’aise. Bon élève, sportif, il n’a pourtant pas bonne opinion de lui-même, trop conscient de ses origines modestes et de son manque de culture.

    "En règle générale, j’aime pas trop comment ma mère s’habille, et je devrais même dire pas du tout… Ce que je déteste, quand je sors avec elle dans la rue, ou plutôt quand on entre dans les magasins, c’est cette manie qu’elle a d’adresser la parole à n’importe qui brusquement, sans préavis, en parlant fort, en tâchant d’être d’accord, parce que quand on échange des banalités, l’idée c’est surtout d’être d’accord. Alors bien sûr, je peux pas lui en vouloir, même si j’ai tellement envie qu’elle se taise. Ça me fout une honte stratosphérique… 

    Une fois, on marchait dans la rue dorée et il y avait plein de gens que je connaissais, parce que dans cette ville il n’y a qu’une rue principale, alors bonjour l’anonymat, on pourrait faire des procès pour atteinte à la vie privée à ceux qui ont inventé des villes aussi petites. Et comme ma mère n’était particulièrement pas sur son trente et un, je marchais quelques mètres devant elle, pour pas qu’on devine nos liens de parenté. Je sais, c’est absolument dégueulasse de faire un truc pareil, j’ai l’impression d’être un gros tas de détritus, un monstre ignoble et puant, parce que je l’aime tellement, même si je la redoute en permanence, je l’aime de toute ma chair, de toute mon âme, et j’ai si peur qu’elle comprenne que je la trouve pas toujours présentable. Heureusement, elle s’en était pas rendu compte. Je voudrais pas que ça lui fasse de mal, jamais. Le problème, quand on a honte de sa famille, c’est qu’en plus on a honte d’avoir honte. C’est quelque chose entre la double peine et le triple cafard." (p. 77)

    Emile, amoureux fou dès le premier regard de Pauline, rencontrée au lycée, se rapproche tout doucement d’elle, sans oser se déclarer, trois pas en avant, trois pas en arrière. Les filles, il ne connaît pas trop... et puis, elle vient d’un milieu très bourgeois.

    "Mais un jour, et peut-être que ce sera bientôt, je lui écrirai des lettres d’amour à Pauline, des phrases avec complément d’objet indirect, participe passé du subjonctif, gérondif, plus-que-parfait, je lui jouerai le grand jeu. Je les mettrai dans une belle enveloppe en papier épais, avec son adresse dessus, et je les posterai en recommandé, avec accusé de réception, parce qu’on n’est jamais sûr que l’amour qu’on envoie, il soit vraiment reçu." (p. 105)

    Lorsque Pauline finit par inviter Emile à un concert qu’elle donne à Venise, ce rendez-vous est vital pour lui. Mais au lieu de lui payer le billet de train, ses parents décident de partir eux-mêmes quelques jours à Venise, en famille, avec la caravane ! Le cauchemar intégral pour Emile, qui craint d’arriver en retard par la faute des  idées farfelues de son père, et surtout, a tellement honte de sa famille ! Et pourtant, cette famille déjantée est aussi chaleureuse et pleine de vie. On crie, on prend des baffes, mais on s’aime !

    La narration est faite par Emile dans un langage frais et touchant (même si l'absence de négation peut être un peu agaçante à l'écrit). Sa jeunesse permet d'en faire un observateur candide de la vie, la famille, l'amour mais n'empêche pas les remarques pertinentes. L'analyse de société proposée par le livre est caricaturale, mais assez percutante ! Sous son apparence simplicité, j'ai trouvé que ce livre offrait de nombreuses pistes de réflexion.

    Aline

  • Profession du père

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    Sorj CHALANDON

    Grasset, août 2015, 320 p., 19€

    Chaque roman de Sorj Chalandon m'a "rencontrée", et je n’ai jamais été déçue par cet auteur. Son dernier livre ne fait pas exception, même si le sujet en est plus personnel et  familial.

    Pasteur Pentecôtiste, Judoka ceinture noire, parachutiste, footballeur, chanteur… ou agent secret ? Si le jeune Emile Choulans n’a jamais su quel métier noter dans les cases des formulaires à remplir en début d’année, c’est qu’il croyait aveuglément ce que son père lui racontait, accessoires à l’appui : kimono, robe de pasteur ou béret de para en évidence sur la plage arrière de la Simca Vedette paternelle…

    L’auteur observe une famille dysfonctionnelle (proche de la sienne), à travers les yeux d’un collégien, éperdument admiratif et soumis à son père, dont le lecteur devine rapidement qu’il est mythomane et paranoïaque. Dans le microcosme familial, mère et fils sont maintenus en état de sujétion et d’alerte constante.

    "Un soir de juin 1958 une amie de ma mère l’avait invitée à un récital des Compagnons de la Chanson, au théâtre romain. J’avais 9 ans. C’était la première fois qu’elle demandait à sortir seule le soir. Même avant ma naissance, mon père s’y était toujours opposé…" Le résultat ne s’était pas fait attendre "Tu vas dormir sur le paillasson, salope"… Elle a effectivement dormi derrière la porte, son fils ayant l’interdiction formelle de lui ouvrir sous peine de raclée. "C’était il y a trois ans. Depuis, Maman n’a plus jamais allumé la radio. Et plus jamais chanté."

    Au moment où Charles de Gaulle "abandonne l’Algérie", André Choulans, le père, se sent trahi et décide de continuer la guerre sur le territoire français. Soit-disant officier de l’OAS, il transfère ses frustrations sur Emile et lui donne des missions : barbouiller les murs d’inscriptions OAS, poster des lettres de menace…  L’enfant est réveillé en pleine nuit pour se mettre au garde à vous, "torse nu et pieds glacés" et faire des séries de pompes en slip. A tout cela, la mère répond faiblement « Tu connais ton père ».

    Emile a des crises d’asthme provoquées par l’angoisse, manque de sommeil,et ne parvient plus à se concentrer en classe... ce qui provoque de nouveaux drames. On éprouve de la pitié pour cet enfant maltraité et abusé psychologiquement. On ne comprend pas que son amour filial y résiste ! Vient même un temps où Emile utilise les méthodes de son père sur  un camarade, espérant que celui-ci saura l’arrêter… mais les méthodes fonctionnent trop bien !

    Cette expérience extrême l'aura-t-elle aidé à s'affranchir de l'ascendant familial ? Reproduit-on les schémas parentaux ? Le lecteur retrouve brièvement Emile adulte dans sa relation à ses parents et à son enfant... mais beaucoup reste à imaginer.

    Dans ce roman bouleversant, étouffant bien que parcouru d'intermèdes plus légers, j’ai lu la crédulité d’un enfant abusé psychologiquement par son père, mais aussi la complexité des relations familiales, tandis que Brigitte s’est attachée au contexte historique des "événements d’Algérie" du côté français.

    Les entretiens avec l'auteur apportent un éclairage personnel. "Si le père n'avait pas été violent, je crois que l'enfance d'Emile (mon enfance) aurait été formidable !". Voir aussi les critiques de ses romans Retour à Killybegs et Le quatrième mur.

    Aline

  • Entre deux mers, voyage au bout de soi

    entre deux mers.gifEntre deux mers, voyage au bout de soi

    Axel Kahn

    Stock, 2015, 250 p., 19€

     

    Dans ce récit de voyage Axel Kahn nous entraîne avec lui dans la traversée de la France en diagonale de la pointe du Raz à Menton. Ce récit fait suite à un premièr parcours des Ardennes au Pays basque qu'il a narré dans Pensées en chemin paru en 2013.

     

    Il a parcouru, souvent hors de tout chemin balisé, plus de 2000 km dans des conditions physiques très dures (genou douloureux, épaule déboitée) et il a cependant réussi à aller au bout de l'itinéraire qu'il s'était fixé.

     

    J'ai bien aimé la façon dont Axel Kahn parle des régions qu'il traverse. Il trouve de la beauté partout où il passe et il nous fait partager son émerveillement. Il rappelle brièvement l'histoire qui éclaire le présent, la situation économique actuelle, l'attachement des habitants à leur terroir, leur désarroi parfois, et aussi leurs espoirs.

     

    Entre deux mers est un récit de voyage riche de réflexions personnelles sur la vie et aussi de réflexions politiques sur la France réelle, celle des gens qu'il a rencontrés et avec lesquels il a débattu de sujets qui nous préoccupent tous.

    Annie

  • Soudain, seuls

    Soudain, seuls.gifSoudain seuls

    Isabelle AUTISSIER

    Stock, 18,50 €

     

    Un livre qu'on ouvre et qu'on ne lâche pas.

    Ludovic travaille dans l'événementiel, il est fougueux, séducteur, insouciant et est doté d'une grande aptitude au bonheur. Louise travaille dans un centre d'impôts, elle est effacée, solitaire, prudente et a une seule passion, l'alpinisme. Ils se rencontrent, ils s'aiment, mais pour Ludovic, la vie est trop banale, trop monotone à Paris, il faut rompre les habitudes, vivre une aventure et il convainc Louise de faire le tour du monde en voilier.

    Les premiers mois sont magnifiques mais le rêve va se fracasser lorsqu’ils décident de faire une petite halte sur une île déserte entre la Patagonie et le Cap Horn, réserve protégée uniquement autorisée aux scientifiques. L'escapade va vite tourner au cauchemar, leur voilier ayant disparu emporté par une tempête.

     

    Comment survivre dans une nature hostile avec pour toute nourriture des manchots sur une île où aucun bateau ne vient accoster ? Comment un couple peut-il résister dans un face à face qui renvoie chacun à ses responsabilités et à ses faiblesses ? Jusqu’où l'être humain est-il capable d'aller pour survivre ?

     

    Isabelle Autissier nous fait éprouver la peur, la froid, la faim, l'épuisement, la désespérance et aussi l'amour et la haine dans un huit clos terrible. Elle sait décrire la tension psychologique qui monte peu à peu et elle nous amène à réfléchir sur les réactions d'un être humain plongé dans une situation extrême.

    Annie

  • L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

    mort,amour,condition féminine

     

    L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir

    Rosa MONTERO

    Métailié, 2015

     

    Cédant à ce qui semble être une mode parmi les écrivains actuels, Rosa Montero prend comme point de départ la biographie de personnes célèbres – ici celle de Marie Curie, scientifique dont la vie aux côtés de son mari Pierre a fait l’objet de nombreux écrits et documentaires filmés .

    Le tout est bien écrit, bien documenté, repose sur des faits avérés, des biographies attestées, des écrits de Marie Curie à partir desquels l’auteur  "brode".

    Et c’est la broderie que je trouve gênante !!! Je trouve qu’elle donne un livre "fourre-tout" à la construction baroque (au sens artistique du terme !) avec des extraits intéressants de tranches de vie des deux scientifiques interrompus par des digressions en tous genres, notamment sur la difficulté d’être femme dans un univers machiste, sur la douleur ineffable liée à la perte de l’être aimé et sur le deuil (Pierre meurt avant Marie). L’auteur nous inflige des confidences intimes sur ses propres réactions  face à la mort de son compagnon à partir desquelles elle se livre à des généralisations sur la mort, nécessairement superficielles. On trouve aussi pêle-mêle des réflexions sur ce qu’est la normalité,  sur les coïncidences dans la vie, sur ce qu’aimer signifie pour un homme et pour une femme, sur la relation entre littérature et  Mal, littérature et beauté, fiction et réalité, liberté de l’écrivain, faiblesse des hommes, la mort de nos jours, etc. etc.  tous ces thèmes n’étant bien sûr qu’ effleurés. Enfin, l’emploi des #Hashtags, totalement artificiel, m’a exaspérée !

    Il s’agit ici pour moi d’un livre exutoire  qui illustre un autre phénomène de mode à l’œuvre dans les publications récentes : l’acte d’écrire pour l’auteur qui ne se dissimule plus derrière un narrateur constitue une thérapie ; le lecteur assiste à un déballage de sentiments auquel il manque la distanciation d’une Delphine de Vigan lorsqu’elle s’interroge sur la relation entre réalité et fiction.  Sans toutes ses digressions, le livre m’aurait semblé beaucoup plus intéressant et même très recommandable !!!

    Ginette

  • La saison des mangues

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    La saison des mangues

    Cécile HUGUENIN

    Ed. Eloïse d’Ormesson, 2015

     

    Mira, partie en Afrique pour une mission humanitaire, a disparu. Lorsqu’il faut admettre sa mort, Anita, sa maman, qui a toujours vécu pour sa fille et pour son mari François, désormais interné en hôpital psychiatrique, doit s'inventer une nouvelle vie. Et pour cela se découvrir elle-même. Qui est-elle vraiment, cette femme qui tricote des bonnets personnalisés pour les personnes en chimiothérapie, et qui déteste le blanc au point de couvrir ses œufs au plat de curcuma ?

    Elle trouve des forces auprès de son amie Fatou, plein de vitalité, mais aussi beaucoup dans ses souvenirs et ses origines.Sa propre mère, Radhika, était une déracinée, "vendue" à un major anglais qui exhibait sa beauté en trophée, mais s’en était vite lassé. Elle-même, élevée partiellement en Angleterre, partiellement en Inde, avait fini par épouser un Français et appris à aimer "le gris parisien". A son tour, Mira était partie à la découverte d'un autre continent, l'Afrique, où elle se croyait intégrée...

    Avec des allers-retours narratifs, l’auteur tisse une légende familiale multiraciale et ouverte, sur trois générations et trois continents, avec des personnages -féminins surtout- qui passent d'une culture à une autre. Dans cette histoire de femmes, Laurent de Laurentis s’est laissé consciemment entraîner. C’est lui qui révèle le destin de Mira, qu’il admirait immensément, et en qui il s’était trouvé une sœur…

    Très beau roman facile à lire, plein d'images en couleurs, d'odeurs et de sensations. Les allers-retours narratifs ne nuisent pas à la compréhension et au plaisir de lecture. En effet, comme l'exprime  l'auteur (psychologue) dans cet entretien, "émotions et sentiments se jouent de la chronologie".

    Aline

  • La variante chilienne

    roman,rentrée littéraire

    La variante chilienne

    Pierre RAUFAST

    Alma éditeur, 2015, 18€

    Professeur de philosophie, Pascal a loué un gite dans la vallée  reculée de Chantebrie, où il se retire pour l’été avec Margaux, élève de terminale brillante mais mal dans sa peau, réfugiée dans la lecture. Nous apprendrons au cours du roman ce qui la mine, et pourquoi elle a suivi Pascal.

    Tout commence par la rencontre entre deux fumeurs de pipe plutôt asociaux, qui se sentent vite des affinités : "Nous avions en commun l’amour du tabac, du vin et de la littérature. Certaines amitiés sont moins charnues."

    Intrigué de voir Florin ramasser un caillou en souvenir de leur joyeuse soirée copieusement arrosée, Pascal visite sa collection de cailloux :

    "Des dizaines de bocaux étaient alignés sur deux longues étagères. Dans chacun, des cailloux, beaucoup de cailloux.

    -          - Voici toute ma vie.

    -          -

    -         - Chaque bocal contient les souvenirs d’une année. Ça commence en 1971, j’avais dix-huit ans. Tu as trente-neuf bocaux comme ça. J’ai eu cinquante-neuf ans en mai dernier….

    J’étais stupéfait. Quatre mille souvenirs dormaient là, à l’extérieur de sa tête. Une vie. Une existence. Des femmes possédées, des amis retrouvés, des morts regrettés, des bouteilles homériques ; toutes ces choses auxquelles il tenait se trouvaient là, devant moi, bien rangées dans des bocaux.

    -          - Je te montre…

    Il ouvrit le pot 1998, plongea sa main à l’intérieur, fit rouler quelques cailloux, pour finalement en sortir un, l’air satisfait. Un bout de gravier. Un simple caillou blanc, insignifiant.

    -          - Tu disais que tu voulais connaître l’histoire de la piscine-potager ?"

    A partir de là, l’auteur égrène les cailloux-souvenirs, multipliant les récits hauts en couleurs : partie de cartes épique ("capateros" selon la variante chilienne, d’où le titre) de trois jours, histoire d’Etienne de Vignolles, dit La Hire, valet de cœur de Jeanne d’Arc, récolte de noix à l’hélicoptère, détrousseurs de pompes funèbres, village resté sous la pluie pendant si longtemps que ses habitants en avaient oublié l’existence du soleil, etc.

    Cette imagination fertile est à la fois ce qui fait le charme du livre et sa faiblesse. Chaque anecdote, contée dans une langue imagée et percutante, emporte le lecteur. L’écriture est adroite, garnie d’humour et de références littéraires. Par contre, le récit central, fil conducteur, s’effiloche, manque de profondeur et perd de sa force. 

    N’en reste pas moins un grand plaisir de lecture procuré par une langue inventive et un sens de la formule :

    Pascal : "L’été, je mets ma peau en jachère, je la laisse se reposer. Au bout d’une semaine, ma barbe a poussé. Alors, je suis content. Au bout d’un mois, de grosses boucles blanches se forment. Là, je suis tout à fait heureux. Mes talents de philosophe décuplent. Je suis le Samson de la barbe blanche. A la rentrée des classes, je me rase. Je redeviens le professeur fatigué qui tourne la meule du savoir."

    Devant la collection de deux-cent-soixante–dix-sept pipes : "Les efforts inouïs de l’homme pour son agrément compensent ceux qu’il fait pour se détruire".

    Florin : "Désolé, ma cave est très modeste. Le vin, je le bois. C’est dans mes globules qu’il se conserve le mieux."

    Et la scène d’anthologie où les deux hommes  font "Sus aux verts luisants !" (je ne vous dévoilerai ni pourquoi, ni comment…).

    à lire avec le sourire :)

    Aline

  • Petits oiseaux

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    Petits oiseaux

    Yôko OGAWA

    Actes Sud (Textes japonais), 2014, 268 p, 15.99 €

    Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle

     

    Surnommé le "monsieur aux petits oiseaux" par les enfants, le narrateur a pris soin pendant 20 ans de la volière du jardin d’enfants voisin.  C’était son frère aîné qui lui avait fait découvrir cet endroit. Ce grand frère, plus lent que les autres enfants, était passionné par les oiseaux, et ne parlait que le pawpaw, un langage proche de celui des oiseaux, qu’il avait inventé "composé de mots flûtés oubliés depuis longtemps par les humains". Il passait des heures à observer les canaris citron, les bengalis ou les moineaux de Java, et pouvait imiter parfaitement le plus beau des chants, celui de l’oiseau à lunettes.

    oiseau à lunettes, zopterix japonicus

    Toute la vie du monsieur aux petits oiseaux a tourné autour de son frère, qu’il était le seul à comprendre et à admirer. Après sa mort, il a continué à entretenir avec rigueur, voire recueillement, la volière qui faisait la joie de celui-ci, tout en essayant d’éviter les élèves, car "les enfants, ce n’était pas son fort… Par quel miracle lui apparaissaient-ils comme des êtres plus fragiles encore que les oiseaux ?"

    C’est le récit d’une vie calme et contemplative, toute de dévouement et de joies simples, avec plus de rapports aux oiseaux qu’aux humains, dans laquelle un épanouissement différent est possible. On retrouve la veine de douceur mélancolique qui imprégnait l’un des premiers romans de l’auteur La formule préférée du professeur (2005).

    Aline