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17/03/2015

La couleur du lait

romanLa couleur du lait

Nell LEYSHON

Phébus , août 2014, 17€

traduit de l'anglais The Color of Milk (Royaume-Uni) par Karine Lalechère

 

De 1830 à 1831 dans le Dorset, Mary jeune fille de 15 ans fait le récit de sa vie de misère à la campagne : famille de 4 filles, père intraitable, mère passive. C’est une enfant sensible, aimant beaucoup son grand-père  invalide -donc bouche inutile !!

Elle est « vendue » au pasteur comme garde-malade de la femme de celui-ci (qui meurt peu après).

Mary a le grand bonheur d’apprendre à lire et écrire, ce qui permet le récit de sa courte vie.

"ceci est mon livre et je l’ai écrit de ma propre main.

chaque mot.

chaque lettre."

Le style est celui d’une écolière : haché, « maladroit », sans majuscules, mais le contenu est poignant, d’une grande sobriété, très émouvant, car le destin de Mary est une tragédie.

Marie-Claire

08:50 Publié dans Critiques de livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman

23/02/2015

Lovestar

Lovestar.gifLovestar

Andri Snaer Magnason

Zulma, 2015, 428 p., 21.50 €

 Inspiré par les modes de communication des animaux migrateurs et leur sens de l’orientation, le génial Lovestar a fondé le centre d’observation des oiseaux et papillons.

"En quelques années les découvertes du département d’étude des oiseaux transformèrent le monde. On peut affirmer que les ondes des oiseaux ont permis un grand pas dans l’évolution de l’humanité. Ce fut l’avènement de l’homme sans fils" (p. 25)

"Indriđi appartenait à la catégorie des hommes modernes et sans fil, lesquels étaient pour ainsi dire débarrassés des fils et des câbles, qu’on avait rebaptisés chaînes. Quant aux anciens appareils, on les appelait désormais poids ou fardeaux, ou encore bazar". (p. 33)

Indriđi file le parfait amour fusionnel avec Sigriđur. Malheureusement les avancées technologiques et leurs déviances les rattrapent. D’après le modèle Inlove (développé lui aussi par notre génie), l’âme sœur de  Sigriđur l’attend impatiemment ailleurs, dans la vallée idyllique du nord de l’Islande qui abrite les locaux de la gigantesque entreprise Lovestar...

L’auteur prend un malin plaisir à développer avec humour son univers… pas si lointain du nôtre, ainsi que les inventions de Lovestar, plus glaçantes les unes que les autres. Il s’attaque tout particulièrement aux ravages de la publicité intrusive : à partir d’un moteur de recherche, les profils des gens sont définis, et des "aboyeurs" (hommes ou femmes dont la zone langagière du cerveau est activé par les ondes) chargés de leur crier des messages ciblés. Lovemort permet aussi de gérer la question de l’euthanasie « dans la joie et la bonne humeur » : vieux et mourants sont largués dans l’espace pour redescendre dans l’atmosphère comme des étoiles filantes.

Ce roman m’a évoqué les récits de Barjavel, mais il manque de suspense et de rebondissements.  Le rythme est trop ralenti par l’application de l’auteur à détailler son univers futuriste et les idées de Lovestar. Un premier roman prometteur néanmoins !

Pour finir, une citation de Lovestar, dont la maxime est  "rien n’arrête une idée" (p. 125) :

"Quand on l’interrogeait sur ses idées, il s’en tirait par une pirouette, affirmant qu’il n’en était nullement responsable. Des idées, disait-il, il n’en avait pas, au contraire, c’étaient elles qui s’emparaient de lui. Elles prenaient possession de son corps qu’elles colonisaient comme celui d’un hébergeur afin de pouvoir se faire une place dans le monde réel, puis le laissaient épuisé, éreinté, vide (et surtout immensément riche et puissant, faisaient remarquer les moins compatissants). Il déclarait ne plus rien maîtriser à partir du moment où une idée s’installait dans sa tête."

"L’idée monopolise l’ensemble de l’activité cérébrale, elle met à l’écart les sentiments et les souvenirs, vous conduit à négliger votre famille et vos amis en vous poussant vers un but unique : sa mise en œuvre. Elle vous prive d’appétit, diminue vos besoins en sommeil, déclenche dans le cerveau la fabrication d’une hormone plus puissante que les amphétamines et peut vous maintenir en éveil des mois durant. Lorsqu’une idée voit le jour, l’homme dont elle s’empare se vide de sa substance… Lorsqu’une idée lui ordonne : Suis-moi ! Il va jusqu’au bout. Aucun argument ni aucune réserve n’est apte à faire reculer l’idée en question et l’homme n’est pas responsable car cette idée n’est pas la sienne. Elle existait avant lui. La bombe atomique existait avant même d’être conçue et fabriquée. Elle était dans l’air du temps et attendait son heure. Et quelqu’un devait bien la faire exploser. Même si les hommes avaient calculé qu’il y avait 20 % de risques qu’elle déclenche une réaction en chaîne détruisant l’ensemble de l’oxygène présent sur la planète, ils ont quand même essayé. Les calculs prévisionnels ne leur suffisaient pas. Il fallait emmener cette bombe dans le désert et, quand ils ont constaté sa puissance, un désir irrépressible de la voir exploser au-dessus d’une ville s’est emparé d’eux. Il suffisait de le faire une fois ou deux. Celui qui est la proie d’une idée est au-delà des notions de bien et de mal. Sa pensée se situe sur un autre plan. Une idée est telle une faim incontrôlable ou un désir charnel trop longtemps réprimé. Ceux qui en sont la proie sont les gens les plus dangereux du monde parce qu’ils sont prêts à prendre tous les risques. Ils veulent simplement voir ce que ça donnera, leur pensée ne va pas plus loin que ça."

Humour noir, vous dis-je.

Aline

08/02/2015

Amours

roman,condition féminineAmours

Léonor de Récondo

S. Wespieser, 2015, 276 p., 21 €

1908, dans une petite ville du Cher, le quotidien lisse et respectable du notaire Anselme de Boisvaillant et de sa femme Victoire est un peu assombri par l’absence de descendance. Victoire ressasse son ennui, Anselme s'inquiète d'un possible secret de famille. Pour autant, dans leur maison bourgeoise, "Chacun restait à sa place, jouant son rôle à la perfection… Anselme à son étude, Victoire à ses pensées, les domestiques à leurs obligations."

Désirs et amours se croisent, pas toujours au bon endroit ou là où on les attend : amour charnel ou amour forcé, acceptation ou rejet de son corps, amour maternel… ou pas ! Jusqu’à la naissance « du mauvais côté du lit » du petit Adrien, qui vient remuer les espoirs et les sentiments.  

Léonor de Récondo évoque, d’un point de vue féminin, la condition féminine et la place infime laissée aux domestiques, à qui on ne demande pas leur avis même pour les décisions qui les concernent au plus près.

"Si [Céleste] avait eu le choix –mais ce mot n’existe ni dans sa condition, ni dans son vocabulaire- elle aurait dit : Non ! Elle l’aurait même hurlé". Au lieu de quoi, elle suit bravement le conseil d’Huguette "Garde la tête haute, c’est tout ce que nous pouvons faire, nous autres ! Garder la tête haute pour faire croire qu’on n’a pas honte."

Un instant, les barrières sociales et les convenances semblent sur le point d’être bousculées, mais elles ont la vie dure !

La trame du récit réserve quelques surprises originales, le sujet en est émouvant -voire mélodramatique-,  mais je les ai trouvés mal accordés à une langue lisse et poétique, qui tient la réalité à distance. Ce pourrait être du roman réaliste, c’est de la broderie à petits points… Je l'aurais voulu âpre, il est mélancolique.

Aline

07/02/2015

Debout-Payé

 

Debout-Payé                                      

Gauz

Nouvel Attila, 192 p./ janvier 2015

Debout-payé c’est le nom qu’Ossiri, étudiant ivoirien, donne à ce métier où l’on est payé pour rester debout : vigile. Ossiri est un "debout-payé". Arrivé en France dans les années 90, il devient vigile tour à tour au Camaieu Bastille et au Séphora des Champs-Elysées. C’est le regard drôle, touchant et dur aussi que porte cet émigré. Sont évoquées les difficultés de logement et de travail que subit cette population. C’est aussi un regard porté sur les relations France-Afrique sur trois périodes clés : 1960 (l’âge de bronze), 1990 (l’âge d’or) et les années après les attentats du 11 septembre 2001 (l’âge de plomb).

Les chapitres alternent entre description de la vie d’immigré et vie de vigile. La vie d’immigré est raconté de façon juste et pertinente mais non sans une pointe d’ironie : "Bannir un homme, l'éloigner de force de l'endroit où il vit et travaille, juste parce qu'un préfet ne lui a pas signé un banal papier, était une idée effrayante. Pourtant, Ossiri aimait l'expression administrative correspondante : " Reconduite à la frontière." Cela lui inspirait un voyage bucolique à travers prés et champs, accompagné par une cour joyeuse et bruyante, jusqu'à une frontière imaginaire pleine de mystères enchanteurs. Là-bas, tous les accompagnateurs chanteraient en chœur et en canon " ce n'est qu'un au revoir". L'accompagné - plutôt le "reconduit"- continuerait seul son chemin en écrasant une larme d'émotion."

La vie de vigile est une succession de définitions, des moments légers où l’on rit de bon cœur, des clichés, des « à priori » que les vigiles peuvent avoir sur les choses et les gens :

"TATOUAGES. Sur le cou, son tatouage aux traits fins et précis représente un lotus qui a le même graphisme que "Lotus", la marque de papier hygiénique. Avec sa peau très pâle, c'est un peu comme si elle avait un rouleau de PQ coincé entre la tête et les épaules."

DÉFINITIONS. 98% Coton + 2% Élasthanne = Jean Slim

95% Coton + 5% Élasthanne = Fuseau

Pour être cool ou ringard, cela se joue à 3% d'Élasthanne."

Debout-payé, témoignage inédit d’un vigile.

Céline

 

27/01/2015

Les voleurs de Carthage

Voleurs de Carthage (Les)Voleurs de Carthage (Les) 

Les voleurs de Carthage, tomes 1 et 2

Appollo et Tanquerelle

Dargaud, octobre 2014, 13.99 €

Un Gaulois et un Numide quel drôle de tandem ! C’est pourtant celui qui va rythmer cette série burlesque composée de deux tomes. Nous sommes plongés, ici, au cœur de la grande ville de Carthage au bord du gouffre (les Romains sont prêts à lancer l’assaut).

Dans le premier tome, Horodamus et Berkan sortent des griffes des Romains une jeune fille, Tara, issue d’une grande famille de voleurs d’Utique. Maintenant seule (le reste de la troupe s’étant fait décimer), elle s’associe à nos deux idiots pour leur proposer l’affaire du siècle : voler l’or et piller le temple de Carthage. Mais inclure ces deux énergumènes dans cette aventure ne semble pas être forcément une bonne idée.

Dans le deuxième tome l’histoire se précise et les rouages pour le pillage sont mis en place. L’équipe s’est maintenant agrandie de deux autres personnages tout aussi hauts en couleurs : un prêtre et un soldat. Entre l’avancée des Romains dans Carthage et le peu de professionnalisme de l’équipe, le casse semble commencer avec beaucoup de difficultés. C’est ce qui fera l’humour de ce deuxième et dernier tome.

Appollo et Tanquerelle nous offrent ici un péplum tout en humour et en situations burlesques toutefois avec un fond sérieux (la guerre et la destruction de Carthage). Les illustrations naïves et enfantines renforcent le côté comique. On s’attache aux personnages : à ce Gaulois complètement rustre qui ne pense qu’à embrasser et abuser de la belle Tara et à ce Numide qui se croit supérieur intellectuellement à son ami. Le fond historique de cette bande dessinée reste sérieux et véridique. Un intérêt supplémentaire à ce diptyque.

Riche en aventures et en rebondissements cette histoire nous offre un très bon moment de détente à savourer en ce moment au chaud sous sa couette. 

Voir ici le commentaire d'Ismène

Céline 

27/12/2014

Le ravissement des innocents

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Taiye SELASI

Gallimard (Du monde entier), juin 2014, 365 p, 21.90€

Traduit de l’anglais Ghana must go par Sylvie Schneiter

"Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de la chambre". Ancien chirurgien chevronné, il se perd dans la contemplation de son jardin et dans ses souvenirs au lieu d’aller chercher ses médicaments lorsque vient  l’infarctus… Kweku et Fola, autrefois couple magique, amoureux, symbole de la réussite d’immigrés africains brillants aux Etats-Unis. Ensemble, ils ont eu quatre enfants, chéris et pleins de qualités. Et pourtant, la famille est éparpillée depuis des années...

Dans une construction habile, l’auteur remonte le cours du temps par petites touches, s’attardant sur quelques moments déterminants pour chaque membre de la famille. Fola, femme forte et intelligente, Olu, le fils parfait, chirurgien à son tour ; les jumeaux, la belle Taiwo et son frère  Kehinde, autrefois si proches qu’ils s’entendaient penser ; et Sadie, la petite dernière, la jalouse. Tous se rendent au Ghana pour les funérailles. Ce voyage, à la fois retrouvailles et  retour aux racines familiales, est révélateur pour chacun.

Un premier roman, exigeant et d'une grande puissance, autour d'une famille cosmopolite, qui a vécu beaucoup de migrations, comme Fola partie du Nigeria après l’assassinat de son père. A propos de l’anonymat conféré à son père par la mort, de l’indifférence qui la transforme d’une fille en deuil  en un élément de l’histoire :

"Oui, cela se tenait, le début de la guerre au Nigeria, bien sûr.  Sans tenir compte que les Haoussas ciblaient les Ibos, ni que son père était un Yoruba, sa grand-mère une blanche, les domestiques des Fulanis. Dix morts, un seul Ibo, des détails mineurs auxquels personne n’attachait d’importance. Elle le sentit en Amérique, à son arrivée en Pennsylvanie : ses camarades de classe et ses professeurs considéraient que l’événement, pour tragique qu’il fût, était normal en quelque sorte. Elle avait cessé d’être Folasadé Somayina Savage pour devenir la représentante d’une nation générique ravagée par la guerre. Sans attributs. Ni odeur de rhum. Ni posters des Beatles. Ni couverture en tissu kente jetée sur un grand lit. Ni portraits. Rien qu’une nation ravagée par la guerre, désespérante, inhumaine, aussi humide et chaude que n’importe quelle autre nation ravagée par la guerre du monde… Après tout, on n’arrêtait pas de trucider les pères aux larges épaules et aux cheveux de laine d’enfants originaires de pays chauds ravagés par la guerre, n’est-ce pas ?...

Elle ne regrettait pas Lagos, la splendeur, la vie formidable, l’impression de richesse – mais son identité livrée à l’absurdité de l’histoire, l’étroitesse et la naïveté de son ancienne individualité. Puis elle cesserait de s’intéresser aux détails, à l’idée que les attributs conféraient une forme à l’existence. Une maison ou une autre, un passeport ou un autre, Baltimore, Boston, Lagos ou Accra, vêtements élégants ou de seconde main, fleuriste ou avocate, la mort ou la vie – en fin de compte, rien n’avait beaucoup d’importance. S’il était possible de mourir sans identité, dissocié du moindre contexte, on pouvait vivre de cette façon."

La première partie du roman pose les personnages, elle est donc un peu plus difficile d'accès, le temps de s'y retrouver dans l'arbre généalogique (fourni p. 13) et les différents noms. Ensuite, le lecteur essaie de comprendre comment la famille a pu éclater aussi complètement, et ce que peuvent guérir les retrouvailles. Un livre à lire et à relire, pour les pensées que prête l'auteur à ses personnages sur la vie, la famille,...

"Avec Ama, [Kweku] est tendre… Il veut qu’elle soit satisfaite. Il le veut parce qu’elle peut l’être. C’est une femme qui peut être satisfaite. Elle ne ressemble à aucune femme qu’il a connue. Ou à aucune femme qu’il a aimée. Il n’est pas certain de les avoir connues, d’y être parvenu, ou qu’un homme soit capable de connaître une femme. Ainsi celles qu’il avait connues ignoraient la satisfaction… Non par cupidité. Jamais. Il n’aurait jamais qualifié sa mère de cupide, ni Fola, ni ses filles. Des femmes d’action qui réfléchissaient, des amantes toujours en quête, toujours prêtes à donner mais, surtout, des rêveuses, ce qui était bien plus dangereux.

Des rêveuses. Des femmes très dangereuses. Qui regardaient le monde par leurs grands yeux rêveurs et qui, au lieu de le voir tel qu’il était, « brutal, absurde », etc., songeaient à ce qu’il pourrait être ou devenir. Des femmes insatiables. Jamais comblées. Qui voulaient avant tout l’impossible… Et le pire : qui le regardaient et voyaient ce qu’il était susceptible de devenir, plus magnifique que ce qu’il se croyait en mesure d’être.

Ama n’a pas ce problème. Du moins n’a-t-il pas ce problème avec Ama… Les pensées d’Ama ne sont pas des substances dangereuses. Son état naturel est le contentement. Une révélation. Partager la vie d’une femme heureuse en permanence, au repos – heureuse ? Et avec lui. Voici pourquoi (croit-il) Kweku aime Ama"

Aline

20/12/2014

Tous les oiseaux du ciel

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Evie WYLD

Actes Sud (Lettres des Antipodes), sept. 2014, 283 p, 21.80€

Traduit de l’anglais All the Bird, Singing, par Mireille Vignol

Trois ans que Jake White, une jeune Australienne, a débarqué sur une île britannique avec son bras en écharpe, et a racheté l’ancienne ferme de Don pour monter son petit élevage de moutons. Atypique, grande et masculine, elle aime ses brebis, parle à son chien, mais évite la compagnie des humains. Depuis peu, elle se sent observée, et ses moutons se font attaquer.  Cette présence menaçante la renvoie à son passé australien tourmenté.

Les chapitres du roman, assez courts,  font en alternance progresser sa vie en temps réel sur l’île et remonter le cours de ses souvenirs en Australie. Cette narration à rebours est un peu déroutante au départ, mais c'est un procédé habile qui permet de comprendre peu à peu quel passé elle fuit, et quel élément déclencheur l'a plongée dans une spirale destructive.

C'est le deuxième roman, assez noir, de cette auteure qui sait évoquer avec puissance les paysages australiens, avec leurs sons et leurs leurs odeurs, omniprésents dans les souvenirs de Jake. Dans Après le feu, un murmure doux et léger, elle retraçait l’itinéraire d’une lignée d’hommes brisés par leurs guerres. Cette fois-ci, c’est à un personnage féminin qu’elle s’attache, une femme à la fois blessée et coriace, dure à la peine, qui refuse toute aide, toute dépendance aux autres. 

Aline

30/11/2014

Le complexe d'Eden Bellwether

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Benjamin WOOD

Zulma, 499 p, 23.50€

Traduit de l’anglais The Bellwether Revivals par Renaud Morin

Oscar Lowe, à la fin de son service d’aide-soignant à la maison de retraite de Cedarbrook, obéit à une impulsion : attiré par la musique et les vitraux du King’s College, il entre écouter l’orgue et les chœurs de l’office religieux. Il y rencontre Iris Bellwether, puis son frère Eden, qui l’introduisent auprès de leur petite coterie d’étudiants appartenant à la jeunesse dorée de Cambridge.

Oscar alterne entre répulsion et attirance pour ce groupe fermé d’intellectuels, dont il ne sait pas toujours décrypter les attitudes, mais il ne peut résister à la belle et fraîche Iris. Il devient alors le jouet ou le témoin des efforts d’Eden – fou ou génial ? pour prouver ses théories sur l’hypnose et la thérapie musicale.

Calme, gentil, « normal », Oscar se situe à l’opposé d’Eden, et ne cherche qu’à  aider les autres. Plus que les amis de longue date des Bellwether, il parvient à prendre de la distance par rapport à la personnalité narcissique et envahissante d’Eden. Ses origines plus modestes et son travail auprès des personnes âgées l’aident sans doute à garder les pieds sur terre, soutenu aussi  par son amitié avec le vieux Dr Paulsen, un ancien professeur de lettres, qui l’encourage  et lui prête ses livres.

Un premier roman très réussi, placé sous le signe de la musique, où le lecteur hésite longtemps à prendre position par rapport à l’intrigue et aux motivations des personnages principaux. C’est avec beaucoup d’humanité que l’auteur de 33 ans développe ses thèmes : amour, jalousie, manipulation, vieillesse, maladie...

Aline

25/11/2014

Nos disparus

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Tim GAUTREAUX

Seuil, août 2014, 539 p, 23€

Traduit de l’américain The Missing par Marc Amfreville

Sam Simoneaux, cajun de l’Arkansas, est un gars décent, élevé dans le respect de la vie par son "Nonc". Débarqué en France le jour de l’Armistice de la Grande Guerre, il ne connaît que le froid et le déminage désordonné des champs de l’Argonne. Il revient aux Etats-Unis avec le souvenir lancinant d’une fillette française blessée, qu’il a dû abandonner quasi sans aide, et qui l’a surnommé Lucky : le chanceux.

"Sam était rentré d’Europe avec l’idée qu’il ne fallait pas trop se fier aux apparences, et que le monde était un endroit beaucoup plus dangereux qu’il ne l’avait cru. Comme la plupart de ses camarades, il n’avait pas vraiment compris ce qu’il avait traversé." Page 15 : arrivée dans les champs de l’Argonne, où il faudrait une vie pour tout déminer.

De retour à la Nouvelle Orléans, marié, chef de rayon aux Grands Magasins Krine, il occupe une position plutôt enviable jusqu’au jour où il est tenu pour responsable de l’enlèvement d’une fillette. Culpabilisé par la douleur de sa famille, il entreprend de retrouver la petite Lily Weller en remontant avec eux le Mississipi sur l’Ambassador, le bateau dancing où ils travaillent comme musiciens. Au gré des escales, il enquête jusque dans les bayous, et glane des renseignements, non seulement sur la petite Lily, mais aussi sur son propre passé. Car lui aussi promène dans sa tête son lot de disparus, et va à la rencontre de ceux qui lui manquent (Le titre anglais « missing » évoque la disparition, mais aussi le manque).

Les heures de navigation sur le fleuve font revivre l’époque où une excursion  ou une soirée dancing à bord d’un bateau avec orchestre (noir ou blanc selon le public) était le rêve d’un soir ou d’une journée pour des populations isolées ; une rare distraction au milieu de la misère crasse, lourdement arrosée d’alcool de contrebande, quitte à finir en bagarres ; mais aussi la découverte du jazz, de la musique qui swingue, des danseurs déchaînés,…

p. 118 et suite

Je me suis régalée avec ce roman évocateur, empreint de nostalgie, à la fois enquête, peinture d'une société âpre, hymne à la musique, et réflexion sur la culpabilité, la responsabilité, la vengeance…

"[Son oncle Claude] lui avait appris qu’on avait peu de chances de revenir sur les actions de sa vie, qu’elles soient bonnes ou mauvaises."

Aline

 

23/11/2014

L'île du serment

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Peter MAY

Le Rouergue (Noir), sept 2014, 423 p, 23€

Traduit de l’anglais Entry Island par Jean-René Dastugue

Sur la petite île d’Entrée, dans l’Archipel de La Madeleine, à l’est du Canada, personne ne ferme jamais sa porte à clef, et aucun crime n’a jamais été commis… jusqu’à cette nuit de tempête où James Cowell est poignardé à mort. Selon sa femme, l’assaillant s’en serait d’abord pris à elle. Cependant, elle est la principale suspecte des enquêteurs dépêchés de Montréal. Ambitieux, le lieutenant Crozes est pressé de boucler l’affaire.

Un seul enquêteur doute de la culpabilité de l’épouse : Sime Mackenzie, adjoint à l’équipe policière parce qu’il est bilingue, et que la communauté d’origine écossaise vivant sur cette île est anglophone. Au premier regard, il a éprouvé une sensation de déjà connaître Kirsty Cowell, et l’enquête provoque chez lui des rêves en lien avec son histoire familiale, maintes fois racontés par sa grand-mère dans son enfance. Seulement voilà, Sime est mal intégré à l’équipe d’enquêteurs, d’autant plus que l’insomnie chronique qui s’est emparée de lui au départ de sa femme le laisse totalement épuisé et déconcentré.

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Île d'Entrée (source: tourisme Îles de la Madeleine)

La construction du livre est intéressante, faisant de nombreux aller-retours entre l’enquête actuelle et l’histoire de l’ancêtre homonyme de Sime, parti des îles Hébrides en 1847, aux temps de la famine de la pomme de terre. Malgré son intérêt historique certain, cette reconstitution de l’émigration forcée des îliens écossais  est aussi ce qui fait la faiblesse du roman, car elle dilue trop l’enquête, devenue presque annexe.  Comme Sime, qui se perd dans sa quête des origines et ses problèmes personnels, l’enquête est phagocytée par l’histoire des colons. Pour rééquilibrer le roman policier, il aurait sans doute fallu que Peter May donne plus de substance aux autres policiers, qui restent trop en marge.

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Grosse Île, station de quarantaine (source: Immigration Canada)

L’auteur s’est inspiré des Highland Clearances, expulsions forcées des villages des îles Hébrides par les propriétaires terriens qui voulaient rentabiliser leurs terres en y installant des moutons, et ont envoyé par la force de pleines cargaisons de paysans sur les bateaux en partance pour le Canada, dans des conditions épouvantables.

Vers 1830, uniquement à Québec, de loin la principale porte d'entrée au Canada, l’exode européen représente une moyenne annuelle de 30 000 arrivants dont les deux tiers, environ, sont des Irlandais. Or, cette immigration sans précédent sur le fleuve Saint-Laurent survient au moment où de grandes épidémies de choléra et de variole s'abattent sur l'Europe. Afin d'empêcher la propagation des maladies, la station de quarantaine de la Grosse Île, située dans le fleuve Saint-Laurent en aval de Québec, est établie en 1832 et fermée en 1937. Toutes proportions gardées, Grosse Île est comparée, pour le Canada, à Ellis Island. Près de 7000 personnes sont enterrées à Grosse-Ile, la plupart étant des victimes de l’épidémie de typhus de 1847.

Note de l’auteur, p. 421 :

La plus grande croix celtique du monde a été érigée sur Grosse-Île en mémoire des 5000 immigrants qui y moururent en 1847. Ce livre est dédié à la mémoire de tous les Ecossais qui, eux aussi, y laissèrent la vie, et aux autres, si nombreux, qui sont venus participer à la construction de l’extraordinaire pays qu’est aujourd’hui le Canada.

Aline