Un grand merci à Maryvonne d'avoir partagé avec nous ses connaissances sur les auteurs algériens. Ce compte rendu ne rend pas justice aux commentaires des lectrices, mais il permettra aux uns et aux autres de se procurer les livres cités.
Nous avons tout d'abord évoqué des ouvrages récents, dont plusieurs écrits par des femmes, avant de nous pencher sur des auteurs algériens plus "classiques" de la seconde partie du 20ème siècle.
BOUALEM SANSAL
Le village de l'Allemand : ou le journal des frères Schiller
Gallimard, (Blanche), 2008, 263 p., 21.30 €
Prix RTL Lire 2008
Le récit est mené à rebours, à partir du journal intime de deux frères, Rachel (Rachid Helmut) et Malrich (Malek Ulrich). Nés en Algérie de père allemand et de mère algérienne, venus en France faire des études, logés chez un oncle dans une cité peu reluisante, ils ont "tourné" de façon bien différente : l'aîné affiche une belle réussite, tandis que le second traficote et traîne dans la banlieue.
En 1994, dans leur village près de Sétif, leurs parents sont assassinés par un groupe d'islamistes. Le père, qui avait énormément œuvré pour la population (construction, irrigation,…), était pourtant considéré comme un saint homme. Rachid, rentré au village d'Aïn Deb après leur décès, retrouve des documents sur la première vie de son père, dans l'Allemagne nazie, et ne supporte pas ces révélations.
Le roman propose une réflexion profonde, nourrie par la pensée de Primo Levi :
"Il faut condamner ferme l'idéologie, mais ne pas accabler les hommes."
Boualem Sansal établit un parallèle entre les camps nazis d'extermination et l'inféodation par les intégristes, que ce soit pendant la sale guerre des années 1990 en Algérie, ou (ce qui peut paraître abusif) dans les banlieues françaises. Ce lien est expliqué dans un entretien du Nouvel Observateur avec l'auteur.
Boualem Sansal vient de publier Gouverner au nom d'Allah. Bien que menacé par les islamistes, il vit toujours en Algérie.
MAÏSSA BEY
Nom de plume de Samia Benameur, née en 1950, auteur de pièces de théâtre, poèmes, romans et essais, elle a reçu en 2005 le grand prix des libraires algériens pour l'ensemble de son œuvre.
Entendez-vous dans les montagnes…
Editions de l'Aube, 2002.
Huis clos dans un compartiment de train, quelque part au centre de la France. Un vieil homme, Français ; une femme, Algérienne fuyant son pays à nouveau en guerre ; et Marie, petite-fille de pied-noir, jeune fille "blonde et lisse", scotchée à son baladeur. Dans un désir de mieux comprendre l'Histoire, la jeune fille fait parler ses deux voisins, et leurs souvenirs se mettent en place, étrangement imbriqués : le vieil homme, appelé en Algérie pendant la guerre d'Indépendance, a obéi aux ordres, même s'il l'a fait à contrecœur ; la femme algérienne, elle, a perdu son père à 7 ans, sous la torture des bidasses français.
Sobrement, sans haine, dans un court récit vibrant, Maïssa Bey évoque la disparition de son père, instituteur algérien tombé sous la torture en 1957.
Cette fille-là
Editions de l'Aube, 2001.
Recueil de plusieurs histoires courtes de femmes, qui représentent un peu toutes les femmes algériennes, et s'insurgent contre la tradition, le machisme, l'ignorance et l'anonymat dont elles sont entourées. "Cette fille-là" est une enfant née de père et de mère inconnus, qui dit sa colère :
" J'ai tout simplement envie de dire ma rage d'être au monde, ce dégoût de moi-même qui me saisit à l'idée de ne pas savoir d'où je viens et qui je suis vraiment. De lever le voile sur les silences des femmes et de la société dans laquelle le hasard m'a jetée, sur des tabous, des principes si arriérés, si rigides parfois qu'ils n'engendrent que mensonges, fourberie, violence et malheur. "
Pierre, sang, papier ou cendres
Editions de l'Aube, 2008.
Rédigé comme un pamphlet à l'humour grinçant contre "Madame la France", qui s'installe en Algérie, ce roman historique retraçant la colonisation de l'Algérie -du 14 juin 1830 au mois de juillet 1962- dénonce les exactions, spoliations, entreprises délibérées de déculturation, et jusqu'à la comédie de la fraternisation.
Surtout ne te retourne pas
Editions de l'Aube, 2005.
Lire la critique.
MALIKA MOKEDDEM
Malika Mokeddem est née en 1949 en Algérie. Fille d'une famille de nomades sédentarisée en bordure de désert, de tradition orale, elle a grandi bercée par les histoires contées par sa grand-mère et a été la seule fille de sa famille et de la ville à finir ses études secondaires. Elle a suivi des études de médecine à Oran et Paris.
La nuit de la lézarde
Grasset, 1998.
Nour et Sassi sont les derniers habitants d'un ksar du désert algérien, un ancien village fortifié qui donne d'un côté sur le désert, de l'autre sur la plaine. Tous les autres l'ont déserté parce qu'il tombe en ruine, que la source ne suffisait plus à tous… et surtout que la peur rôde. Des nouvelles de mort et de violences parviennent par la radio.
Nour et Sassi vivent chacun dans sa maison, cultivent amoureusement un potager à l'abri des murs du ksar, descendent au village matin et soir pour vendre une poignée de légumes ou de bouquets d'herbes aromatiques et bavarder un moment avec leurs amis d'antan. Tous les soirs, ils se retrouvent face au désert pour admirer le coucher du soleil… ou plutôt, Nour (dont le prénom signifie lumière) décrit à Sassi, aveugle, les beautés des lumières rasantes sur les dunes.
Leur dialogue est fait d'amitié profonde, de provocation et de chamailleries parfois, et de nostalgie du temps où le ksar vivait des bruits de tous ses habitants. Si Nour est restée au ksar, c'est surtout parce qu'elle y a gagné sa liberté, car il n'est pas facile d'être une femme indépendante en Algérie. Jour après jour, elle scrute avec impatience et anxiété l'immensité du désert, d'où reviendra peut-être, si les violences du monde l'ont épargné, l'homme aimé.
Les hommes qui marchent
Grasset, 1997.
Les hommes qui marchent, ce sont les Touaregs. Malika Mokeddem est issue d'une de ces familles en errance éternelle, et conte -au travers de la vieille Zohra- les temps anciens des caravanes, les traditions nomades, et la lente sédentarisation. Sa petite-fille Leïla, l'une des premières jeunes filles de la tribu à maîtriser l'écriture, est aussi la plus rebelle à la condition de recluse qu'on veut lui réserver. Elle puise dans ses racines nomades la force de s'opposer à son destin, au poids des coutumes d'un autre âge.
A travers ce roman, largement autobiographique, se dessinent la place des femmes algériennes, et l'histoire récente d'une jeune nation, entre guerre d'indépendance et intégrisme d'aujourd'hui. Entremêlant contes anciens et récits plus récents, il est cependant un peu difficile à suivre.
ASSIA DJEBAR
Née Fatima-Zohra Imalayène à l'ouest d'Alger en 1936, Assia Djebar a étudié en Algérie et en France. C'est une écrivaine algérienne d'expression française, auteur d'une œuvre importante (romans, nouvelles, poésies, théâtre, films et essais), qui a pour thèmes récurrents l'émancipation des femmes, et l'histoire de l'Algérie. Elle siège à l'Académie française depuis 2006.
Le blanc de l'Algérie
Albin Michel, 1995.
Assia Djebar convoque une procession de morts, hommes de culture et écrivains algériens disparus, souvent assassinés. Elle raconte ainsi l'Algérie par ses intellectuels, de sa "première procession" : Albert Camus, Frantz Fanon, Mouloud Feraoun… à Jean Amrouche, Jean Sénac, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Tahar Djaout… sans oublier une procession de femmes.
MOULOUD FERAOUN
Kabyle, né en 1913, a œuvré pour les centres sociaux chers à Germaine Tillion, exécuté par l'OAS en 1962 avec six autres personnes.
Le fils du pauvre
Seuil, 1995
Enfance au bled, dans un village perdu au fin fond de la Kabylie, dans une famille très pauvre. Feraoun décrit le physique et le caractère des personnages de sa famille : la grand-mère qui tient l'intendance et les cordons de la bourse, le premier garçon né après plusieurs filles, pourri-gâté,…
RACHID MIMOUNI
Né en 1945 à 30 km d'Alger dans une famille de petits paysans, enseignant et écrivain engagé, il a occupé diverses fonctions dans les domaines de la culture et des droits de l'homme. En 1992 il est condamné à mort par les intégristes musulmans, mais c'est la maladie qui l'emportera en 1995.
Son œuvre évoque le quotidien des Algériens, la guerre d'Algérie, la dictature et la révolution.
L'honneur de la tribu
Stock, 1989
Un vieil homme raconte l'histoire de son village depuis le début de la colonisation jusqu'à ces jours de honte de la révolution intégriste. La lecture est assez ardue, car l'auteur mélange histoire et contes.
La malédiction
Stock, 1993
C'est la malédiction qui s'abat sur Alger soumise à l'intolérance et à l'intégrisme en 1991. Celle des frères ennemis, des femmes soumises. Les intégristes viennent de lancer une grève insurrectionnelle dans le but affiché de prendre le pouvoir, ils contrôlent le plus grand hôpital d'Alger et y instaurent un ordre qui préfigure celui qu'ils veulent imposer au pays entier. Le personnage principal, médecin, est empêché de soigner certains patients.
KATEB YACINE (1929-1989)
Kabyle, né en 1929, avocat de la cause Berbère, est un homme de lettres complet. Il a écrit aussi bien de la poésie, du théâtre et des romans (Nedjma) que des essais.
Parce que c'est une femme
Ed. des Femmes, 2004
Composé de courtes pièces de théâtre, cet opus regroupe des portraits féminins plus anciens écrits par Kateb Yacine, qui met l'accent sur les initiatives que prennent ces femmes : La Kahina ou Dihya ; Saout Ennissa ; La Voix des femmes ; Louise Michel et la Nouvelle Calédonie.
Bonus du bouillon
Encore des livres :
Douglas Hawes : Oradour, le verdict final. Un livre dur, mais extraordinaire !
Robert Merle : L'enfant roi (Fortune de France, tome 8). Sur l'enfance de Louis XIII sous la régence de Marie de Médicis. Un régal d'écriture, comme les autres tomes de Fortune de France.
Cinéma :
Mention du film documentaire "Sur le chemin de l'école", qui présente des enfants du monde (Inde, Kenya, Maroc…) prêts à tout pour se rendre à l'école. Un film bouleversant, qui relativise nos "problèmes" scolaires français.
Gastronomie :
Merci à nos hôtes de St Laurent d'Agny pour la tarte à la rhubarbe, le gâteau chocolat-poire et l'infusion de grenade.