
Désorientale
Négar DJAVADI
Liana Levi, 2016, 349 p., 22 €
Notre être ne se définit pas simplement ici et maintenant, mais se constitue aussi de notre histoire familiale, et de nos souvenirs. L’auteur, en parlant de son père, l’exprime ainsi : « Pour prétendre entrer dans la tête d’un homme, il faut d’abord le connaître, avaler toutes ses vies, toutes ses luttes, tous ses fantômes… » (p.10)
C’est avec beaucoup de circonvolutions que Kimiâ raconte comment elle est arrivée là, dans un couloir de l’hôpital Cochin, un long tube en carton sur les genoux, à attendre son rendez-vous pour une insémination artificielle.
Elle raconte son enfance, en Iran dans les années 1970, avec des parents intellectuels opposants au régime du Shah. La pression de SAVAK, la police secrète, les espoirs portés par la Révolution, puis la terreur à nouveau sous le régime des « gardiens de la Révolution ». La migration à pied et à cheval via les montagnes du Kurdistan et la Turquie pour se réfugier en France… et l’adaptation à notre pays, bien différent, au quotidien, de la France fantasmée depuis Téhéran !
Petite fille bizarrement liée à sa grand-mère Nour, qu’elle n’a pourtant pas connue, Kimiâ est dépositaire d’une partie des histoires de famille contées par l’Oncle numéro 2 pendant les soirées de couvre-feu à Téhéran : l’ancêtre Montazemolmolk et son harem au pied des montagnes d’Alborz dans une province reculée du nord de la Perse nommée Mazandaran, la recherche d’une lignée d’enfants aux yeux bleus, du bleu étonnant de la mer Caspienne (lorsqu’elle était encore bleue), la grand-mère arménienne… Cette culture qui la fonde, et qu’elle a pourtant laissée de côté pour pouvoir vivre en France, revient à l’assaut pendant les heures d’attente.
Ce roman a le mérite d’offrir un regard différent sur le contexte géopolitique iranien, sur l’héritage perse, et sur les dissidents iraniens des années 1970-80.
J’ai été touchée par les réflexions sur l’exil et la difficulté de se construire dans une culture différente. Les 3 sœurs, Mina, Leïli et Kimiâ ont trouvé des façons différentes de s’adapter à leur pays d’accueil, et Kimiâ expose ses choix personnels, opposés à ceux de ses sœurs.
« L’Iran avait acquis sa réputation de pays moyenâgeux, fanatique, en guerre contre l’Occident. En ce début des années 1980, les Français ne faisaient pas vraiment la différence entre nous et les hezbollahis. Les professeurs et les élèves nous posaient des questions incongrues et parfois blessantes qui témoignaient surtout de leur ignorance… agissant comme de l’acide sur cette part [de Mina] qui idéalisait la France depuis l’enfance. » (p. 272)
« Pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer d’abord, du moins partiellement, de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier. Tous ceux qui appellent les immigrés à faire des « efforts d’intégration » n’osent pas les regarder en face pour leur demander de commencer par faire ces nécessaires « efforts de désintégration ». Ils exigent d’eux d’arriver en haut de la montagne sans passer par l’ascension. » (p. 114)
« à vrai dire, rien ne ressemble plus à l’exil que la naissance. S’arracher par instinct de survie ou par nécessité, avec violence et espoir, à sa demeure première, à sa coque protectrice, pour être propulsé dans un monde inconnu où il faut s’accommoder sans cesse des regards curieux. Aucun exil n’est coupé du chemin qui y mène, du canal utérin, sombre trait d’union entre le passé et l’avenir, qui une fois franchi se referme et condamne à l’errance ». (p. 144)
"[Sara]était démunie, ne sachant plus comment être mère. Sans doute ne savait-elle plus qui nous étions, ni ce qu’elle était en droit d’attendre, maintenant qu’en guise de terre promise nous nous trouvions au bout d’une impasse. Le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres. On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n’est pas vrai de l’exil. La survie est une affaire personnelle. » (p.273)
Pour moi, la quantité de sujets abordés dans ce roman impose au récit un trop grand nombre de flashbacks et flashforward. Au reste, l’auteur l’annonce dans son prologue : « [Ma mémoire] charrie tant d’histoires, de mensonges, de langues, d’illusions, de vies rythmées par des exils et des morts, des morts et des exils, que je ne sais trop comment en démêler les fils ». (p.11)
De plus, j’avoue avoir été détournée de ma lecture par l'agacement dû aux fautes de conjugaison ou d'accord. N’y a-t-il plus de relecteurs aux éditions Liana Lévi ? Peut-on proposer aux sélections des prix littéraires un livre comportant des coquilles ??? Car oui, Désorientale fait partie de la sélection 2016 du prix littéraire du Monde, du prix roman Fnac et du prix Femina !
Lisez-le, et faites-vous votre opinion. Aline.
"Mon père, Darius Sadr, le Maître de la page blanche, Le Téméraire, Le Révolutionnaire, disait de sa voix songeuse / visionnaire : « On écoute mieux avec les yeux qu’avec les oreilles. Les oreilles sont des puits creux, bons pour les bavardages. Si tu as quelque chose à dire, écris-le. » (p.19)