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  • Le bruissement du papier et des désirs

    roman étranger, Canada

     

    Le bruissement du papier et des désirs

    Sarah McCoy

    M. Lafon, 2019, 365 p., 2019

     

    A lire seul, ou en complément de Anne… la maison aux pignons verts, grand classique de l’auteur canadienne Lucy Maud Montgomery… Nous retrouvons les personnages d’Avonlea, petite bourgade de l’Île du Prince Edouard, au large de la Nouvelle Ecosse, des années avant l’arrivée de la fameuse Anne.

    En 1837, Marilla n’est encore qu’adolescente, et son frère aîné Matthew tout jeune homme. Ils vivent une existence paisible, travaillant sur la ferme familiale, et reçoivent une éducation puritaine auprès de parents affectueux, même si Hugh (le père) est aussi taiseux que son fils. Lorsque ce tableau idyllique se gâte, Marilla promet de toujours veiller sur son frère, serment qui orientera toute sa vie.

    Dans la partie du roman située en 1860, Marilla et sa chère tante Izzy s’engagent dans le "chemin de fer", réseau d’entraide pour les esclaves en fuite des plantations du sud des Etats-Unis, qui avait des ramifications jusqu’au Canada. Fière et têtue au point d’en devenir agaçante, Marilla applique ses convictions morales en faveur de la liberté individuelle et de l’égalité de tous.

    L’auteur a su respecter le regard frais d’Anne de Montgomery et son amour sans partage pour son île et pour la nature. Ses personnages sont très proches de ceux du roman de référence, au risque d’une certaine répétition (la compétition scolaire avec les fils Blythe). Elle introduit dans son récit quelques notions d’histoire d’Amérique du Nord qui auraient mérité d’être un peu plus développées, en particulier les références politiques à l’insurrection des producteurs de céréales et  à l’autodétermination des provinces canadiennes par rapport à la couronne anglaise.

    Au total, une lecture de "terroir canadien" (façon Petite maison dans la prairie), émouvante et pleine de fraîcheur, qui rappelle ce que c’était que grandir au 19e siècle dans la campagne canadienne.

    Aline

  • Jeu blanc

    roman étranger, Canada, Hockey, indiensJeu blanc

    Richard WAGAMESE

    Zoé éditions (Ecrits d’ailleurs), 2017, 256 p., 20.90€

    Traduit de Indian Horse par Christine Raguet

     

    Richard Wagamese nous avait émus avec Les étoiles s’éteignent à l’aube (Medicine Walk, 2014). Les éditions Zoé remontent le fil de ses écrits en publiant Jeu blanc (Indian Horse, 2012). Considéré comme son chef d’œuvre au Canada, le roman développe deux thèmes spécifiquement canadiens : le hockey sur glace, et l’effacement de la culture indienne.

    C’est depuis le centre de soins New Dawn « la nouvelle aube » que le narrateur rédige son histoire personnelle, comme un récit thérapeutique. Saul Indian Horse, du Clan des Poissons, des Ojibwés (Anishinaabes) du Nord de l’Ontario, évoque ses jeunes années : « J’ai grandi dans la crainte de l’homme blanc. Il s’avéra que j’avais raison » (p. 17). "Ma sœur Rachel disparut à six ans, avant ma naissance, laissant un spectre au sein de notre camp... En 1957, quand j’avais quatre ans, ils prirent mon frère, Benjamin. » Ses parents détruits errent d’un camp provisoire à l’autre, suivant le travail saisonnier et le whiskey : les enfants enlevés sont remplacés « par des bouteilles brunes pleines de mauvais esprits ».  Sa grand-mère Naomi essaie de le protéger en l’emmenant sur les terres ancestrales du clan vers les lacs Gods et en lui transmettant la culture ojibwe et le lien avec son grand-père chaman Shabogeesick. Mais lorsque le vent du nord se met à souffler lors d'un hiver trop rigoureux, elle est forcée de rejoindre la civilisation.

    C’est alors au tour de Saul d’être interné au St Jerome’s Indian Residential School, où il rejoint la cohorte des enfants enfermés pour être désindianisés plutôt qu’éduqués. « à l’intérieur, l’odeur de javel et de désinfectant était si forte que j’avais l’impression que la peau pelait à l’intérieur de mon nez » (p. 53). Récurés à vif, tondus, battus à la moindre erreur, avec interdiction de parler l’ojibwe, les enfants y sont brisés, poussés à la folie ou au suicide. « St Jerm’s nous décapait, laissant des trous dans nos êtres ». (p. 91) « Ils appelaient ça une école, mais ça n’en fut jamais une. Nous passions le plus clair de nos journées au labeur. Le seul contrôle portait sur notre capacité à tenir le coup… Mais ce qui nous terrifiait le plus, c’étaient les assauts nocturnes ».

    Initié par le Père Leboutilier au hockey, Saul se passionne pour le jeu. Autorisé à pelleter la neige et à entretenir la glace de la patinoire de fortune, il s’entraîne en cachette, utilisant du crottin comme palet. Phénomène du hockey, il possède une vision du jeu extraordinaire : « Je voyais les propriétés physiques du jeu et l’action, mais aussi l’intention. Si un joueur pouvait contrôler une partie de l’espace, il pouvait contrôler le jeu ». Le hockey est son plaisir et son espace de liberté, il l’élève au-dessus de son statut de victime. Sport d’équipe, c’est aussi un lieu de camaraderie : « Dès l’instant où je touchais la glace, tout cela était derrière moi… Dans l’esprit du hockey, je croyais bien avoir trouvé une communauté, un abri et un refuge, loin de toute la noirceur et la laideur du monde ».   Au fur et à mesure qu’il progresse, il doit s’endurcir au contact d’équipes de plus en plus performantes, mais aussi se confronter au racisme qui règne dans le Canada des années 1970, où « Les blancs croient que ce jeu est à eux » (p. 107).

    Incapable de poser ce livre, je l’ai lu d’un trait, en tension entre les visions de culture indienne, les mauvais traitements, l’évasion procurée par le jeu, les injustices et la colère. Suspendue aux émotions de Saul et avide de comprendre comment il se retrouve en centre de désintoxication… et comment il s’en sort.

     

    Pour rendre l’ambiance de l’institution St Jérôme, l’auteur s’est inspiré de témoignages recueillis en 1979 lorsqu’il était journaliste, et qui transparaissaient déjà dans son premier recueil de poésie Runaway Dreams avec « For Generations Lost » et « Graveyard ». Les liens avec son histoire personnelle sont nombreux : sa longue pratique du hockey lui permet de nous faire ressentir la sensation de liberté et la joie sauvage du hockey « the shining white glory of the ring ». Très jeune, l’auteur a été retiré à  sa famille biologique et placé dans des foyers d’accueil, dont il s’est enfui pour mener une vie chaotique. En tout cas, il admet que l’écriture du roman l’a aidé à ressentir moins de colère par rapport à sa jeunesse. 

    Les jours heureux, proches de la nature et du mode de vie indien traditionnel, sont contés dans un style de « réalisme magique », en opposition aux moments sombres de St Jérôme, relatés avec une grande sobriété. Wagamese insiste plus sur la résilience que sur les mauvais traitements. Il exprime sa vision dans un entretien passionnant en 2013 à UBC : Oui, tout ceci est arrivé, et c’est une honte. Mais la (ré)conciliation doit se faire.

    Richard Wagamese s’est construit lui-même. N’ayant pas fréquenté l’école plus loin que le grade 9 (3ème), il a passé une bonne partie de son adolescence dans les bibliothèques, et dit avoir fait lui-même son éducation entre les couvertures des livres. A 24 ans, après avoir trouvé ses racines, il a compris que l’une des missions principales de sa vie serait d’être un raconteur d’histoires. Bien joué, monsieur Wagamese !

    « Tant qu’il n’a pas été lu, un livre n’est pas vraiment achevé » Toutes les intentions et l’énergie que  l’auteur  a insufflées à ce livre continuent à vivre malgré son décès en mars 2017. A lire, donc, absolument.

    A voir : Une version filmée du roman est sortie en 2017, avec John Alsosa, récompensée aux festivals de Toronto, Calgary et Vancouver.

    Lire aussi Les étoiles s’éteignent à l’aube (éd. Zoé, 2016), ainsi que le roman qu’il préférait dans son œuvre Ragged Company (autour des sans-abri), non encore traduit. Parions que les éditions Zoé, qui ont fait un excellent travail avec ses deux derniers romans, vont continuer les traductions.

    Aline

  • La traversée du continent

    roman étranger, CanadaLa traversée du continent

    Michel TREMBLAY

    Actes sud, 2007

    Au début du vingtième siècle, Rhéauna, dite Nana, 10 ans vit à Maria, petite communauté francophone et catholique dans les plaines (anglophones et protestantes) de la Saskatchewan, où l’on « entend pousser le blé d’Inde ». Elle est heureuse, entre ses grands-parents et ses deux petites sœurs, lorsqu'une lettre de sa mère, qu’elle connaît à peine, réclame qu’elle la rejoigne à Montréal.

    Elle doit alors entreprendre la longue traversée du continent vers l’est. Avec elle, on découvre les plaines du centre du Canada, Saskatchewan et Manitoba, avec les cultures de céréales à perte de vue, des champs qui ondulent comme un océan. Puis c'est l'étonnement devant les villes, avec toutes les commodités, des maisons où on peut même "soaker" dans son bain sans faire chauffer l'eau sur le poêle à bois…

    Dans ce premier volet de la Diaspora des Desrosiers, le dramaturge québécois présente le portrait d'une époque, celle des familles canadiennes-françaises qui ont essaimé jusque dans l'Ouest canadien et y vivent dans des conditions difficiles.

    Tout au long de son voyage, la petite fille, angoissée mais curieuse, ne demande qu'un peu d'affection de la part de la famille qui l’accueille au passage. Les personnages rencontrés sont brossés avec talent en quelques traits : le jeune étudiant attentionné, aux états d'âme qui lui échappent ; la grand-tante-vieille-fille acariâtre qui se révèle pianiste merveilleuse ; Bébette, l'autre soeur de son grand-père, qui tyranise tout son monde à grand coup de "saperlipopette" ; ou sa belle cousine vivant dans le luxe grâce à son travail de femme "autonome".

    Tout au long du récit, le lecteur appréhende  la rencontre avec la mère, inquiet de savoir  comment est cette maman qu'on connaît si peu, et de comprendre pourquoi elle réclame soudain sa fille.

    Aline

    Michel Tremblay, né en 1942 à Montréal, est dramaturge, romancier et scénariste, mais aussi conteur, traducteur, adaptateur, scénariste de films et de pièces de théâtre, ainsi que parolier. L'utilisation inédite et originale qu'il fait du parler populaire québécois marque le paysage littéraire, si bien que le français familier de Montréal, ou joual, qui lui est rattaché, est parfois désigné comme « la langue de Tremblay ».

    Ses récits sont marqués par son enfance, d'origine modeste (quartier du Plateau-Mont-Royal), ses proches, et son homosexualité. En 2007, dans le roman La Traversée du continent, il raconte l'enfance de sa mère et son long voyage entre la Saskatchewan et le Québec. Ce tome peut se lire seul ou comme introduction à la Diaspora des Desrosiers (saga de 9 tomes).

  • Homme invisible à la fenêtre

    roman étranger, Canada, handicap, peinture

     

    Homme invisible à la fenêtre

    Monique Proulx

    Boréal (1993)

     

    Le roman s’ouvre sur une toile gigantesque, opposant  monstres noirs et grimaçants statiques, et tout un ballet d’humains en plein vernissage. Mais la réelle opposition est plutôt celle qui existe entre les acteurs, et celui qui ne se considère plus que comme spectateur, Max.

    « Je vis pour peindre…  Je sors peu. Les périples à l’extérieur déstabilisent, embringuent dans des pièces qui exigent une participation. Je joue mal, publiquement, je suis un exécrable acteur. Je fais, par contre, un spectateur excellent, toujours disposé à admirer ce qui est admirable. Il n’y a pas de mal à être spectateur : l’important c’est de connaître l’emploi qui correspond le mieux à ses petits talents. Sans les spectateurs, à quoi serviraient les acteurs ? »

    Artiste peintre, centre involontaire autour duquel gravitent amis, admirateurs et modèles. Bienveillant, silencieux, il laisse sa porte ouverte à tous, écoute et peint sans juger. Fermé au passé, il s’est mis en sommeil pour ne pas raviver la douleur de la perte de ses jambes… et de son grand amour. Son statut d’infirme lui confère une forme d’invisibilité, dans son rôle d’observateur inoffensif.

    « Je me souviens de la confiance immédiate de Maggie, sa belle tête fauve si rapprochée de mon épaule, disposée à livrer son âme avant que je la réquisitionne, disant des choses vertigineusement dépourvues de rouerie…. Je me souviens de sa confiance immédiate comme d’une injure en même temps. Il n’y a que les très jeunes enfants, les vieillards bavotants –et les infirmes- dont on ne se méfie pas. »

    Monique Proulx dirige le regard de l’artiste pour nous présenter une galerie de portraits, façades sous lesquelles le peintre perçoit l’être intérieur complexe : longue figure pâle d’artiste à succès, Gérald Mortimer, dévoué jusqu’à l’abjection ; Maggie, à la beauté éclatante, déboulant sans prévenir avec ses états d’âme ; Julienne, la mère tenue à distance ; Julius Einhorne, l’énorme propriétaire ; Laurel et sa relation complexe à la mère... Mais c’est quand il fait son auto-portrait avec sa « fidèle Rossinante » qu’il est le plus incisif, lucide et plein d’humour noir.

    D’une écriture forte et évocatrice, Monique Proulx, en traçant le portrait de ceux qui entourent Max, parvient à faire ressentir intensément les tourments intérieurs du peintre. Elle dépeint l’importance du regard, qui souvent évite et glisse sur les gens qui gênent (gros, handicapés…) tandis que le peintre, lui, voit la personne et la révèle (jeu du miroir). Ce roman est aussi une histoire d’amitiés et d’amour, profond et douloureux, où le renoncement est une bataille sans cesse renouvelée. Vivre à travers les autres se révèle insuffisant lorsque le passé vient cogner à la fenêtre avec insistance.

    Merci Frédérique de m’avoir fait découvrir ce splendide roman !

    Aline

    Née à Québec en 1952, Monique Proulx se consacre à l’écriture depuis 1980. On lui doit de nombreuses nouvelles, plusieurs dramatiques de soixante minutes diffusées sur Radio-Canada (Un aller simple, et Les gens de la ville), deux pièces de théâtre et plusieurs scénarios. Le film Le sexe des étoiles, tiré de son roman éponyme, a remporté de nombreux prix en 1994. Homme invisible à la fenêtre a inspiré Souvenirs intimes, réalisé en 1999 par Jean Beaudin.

    Ses romans : Le sexe des étoiles (1987), Le cœur est un muscle involontaire (2002), Champagne (2008), Ce qu’il reste de moi (2015).

  • Les héritiers de la mine

    roman étranger, Canada, familleLes héritiers de la mine

    Jocelyne Saucier

    Denoël (2015)

    (Ed. XYZ à Montréal en 2000)

     

    Evocation douce-amère d’une famille nombreuse élevée « à la dynamite » par un père obsédé de géologie et de prospection.

    Le roman s’ouvre sur la première réunion familiale depuis des années, à l’occasion d’une remise de médaille au père, récompensé pour avoir toujours « prospecté à côté de la chance », conduisant ainsi les autres aux filons et  faisant la richesse des « claims » voisins.

    Cette réunion de famille réjouit au plus haut point « leFion »,  le petit dernier, émerveillé par la mythologie familiale et nostalgique d’un âge d’or ou les 21 enfants étaient réunis sous le même toit. Bande de gamins sauvages, élevés tant bien que mal par « La pucelle », la sœur aînée, tandis que la mère passait son temps en couches ou aux fourneaux, les Cardinal -menés par Géronimo- faisaient la loi dans la petite ville minière de la Norco (Northern Consolidated). Ses frères et sœurs, narrateurs suivants, dévoilent d’autres facettes plus nuancées de cette vie en famille. Et s’il y avait une raison à la diaspora familiale ? Et si la réunion du jour dévoilait un secret douloureux ?

    Encore un excellent récit de Jocelyne Saucier, à qui nous devions déjà le sensible Il pleuvait des oiseaux. Celui-ci se passe dans le milieu de la prospection minière, avec  un lien fort au paysage et aux « cailloux », et comporte et des scènes d’anthologie, comme la célébration de l’âge de raison des enfants Cardinal : 7 ans, l’âge de l’initiation à la dynamite. Mais c’est avant tout un roman familial.

    Au sein de cette famille nombreuse sans grandes ressources,  on n'a rien à soi, on partage tout. Le matin on s'habille avec ce que l'on trouve, propre ou sale, on dort dans un coin laissé libre, et on se bat pour sa place (Aheumplace) sur le vieux canapé défoncé. L’important, c’est d’être solidaires par rapport aux villageois ou à la Compagnie. Et gare à ceux qui ne respectent pas les valeurs et les codes du groupe!

    Née au Nouveau-Brunswick en 1948, Jocelyne Saucier a étudié au Québec, et travaillé comme journaliste en Abitibi-Témiscamingue (extrême ouest du Québec, proche du nord de l’Ontario), où elle situe la plupart de ses romans.

    Aline

  • Hell.com

    roman étranger,canada,thriller

    HELL.COM Toute entrée est définitive

    Patrick Senecal

    Fleuve noir, 2016

    (Ed. Alire, 2009 au Québec)

    Le milliardaire Daniel Saul incarne la réussite insolente. Arrogant, il ne reconnait d’autres limites que celles qu’il se fixe, à l’image de son nouveau projet immobilier : le rachat d’églises désertées pour les transformer en lofts de luxe. Son audace a attiré l’attention de Martin Charron, un ancien « camarade » de collège. Mais Charron était à l’époque le souffre-douleur de la bande de Daniel… Maintenant, ce n’est plus lui qui subit, il propose à Daniel de l’initier à de nouveaux plaisir réservés aux hommes de leur caste. Il l‘invite à s’inscrire à un site internet Hell.com qui permet en payant de fortes sommes d’accéder aux fantasmes les plus fous. Mais une fois ouvertes les portes de l’enfer, il est impossible de faire marche arrière…

    Auteur québéquois de thrillers, Patrick Sénécal (1967- ) écrit ici un roman cru et violent. Je n’ai pas aimé cet étalage de perversité.

    Georgette

  • auteurs franco-canadiens

    Pour commencer, une petite polémique sur l’utilisation du joual,  présent dans les dialogues de plusieurs auteurs, à commencer par Michel Tremblay. Ce parler fleuri de nos cousins francophones d’outre-Atlantique gêne quelques lectrices, qui le trouvent trop familier pour être présent en littérature. Mais la plupart trouvent qu’il ajoute au charme du texte, lui apportant authenticité et fraîcheur. Oui, cela représente parfois un défi pour « nous autres » français de France, de retrouver la signification d’un mot vieilli autrement que chez nous, ou d’un mot anglais francisé, ou une tournure de phrase à la grammaire étrange. Mais quelle musicalité dans ces dialogues qui font chanter la langue française, et quel meilleur moyen se rapprocher de personnages dont c’est réellement la parlure ?!

     

    roman étranger,canadaLe club des miracles relatifs (2016)

    Nancy Huston (1953-   )

    Science-fiction : dans un monde hostile aux faibles, aux « différents », nait un enfant surdoué, inquiet. Il part à la recherche de son père, parti dans l'Ouest faute de droits de pêche. Est-ce un message écologique ? De nombreux flashbacks rendent la lecture difficile. L’écriture est bizarre dans la mise en page, se veut poétique ? Pas inoubliable.

    Par contre, lire absolument Lignes de faille, prix Femina 2006 ! L’histoire va de 2004 à 1944, Ukrainiens, Juifs, Lebensraum, de Haifa à Toronto et New York… en remontant une lignée. Tous les lecteurs du Bouillon l'ont trouvé remarquable ! Plus discutés, voir aussi sur ce blog, Infrarouge (2010) et Danse noire (2013).

     

    roman étranger,canadaLe cahier noir (2003)

    Michel Tremblay (1942-   )

    Dans la série des trois cahiers de Céline, le noir est le premier. Les faits relatés se passent à Montréal, en 1966. Le récit est émaillé d’expressions québécoises. Céline Poulin, 20 ans, travaille comme serveuse dans une brasserie du quartier populaire. Parce qu’elle est naine, elle est rejetée par sa famille, et surtout par sa mère alcoolique, alors que c’est une boule d’énergie, attirée par le théâtre pour être comme les autres. Parallèle entre la tragédie grecque et l’histoire de Céline, femme différente, qui doit se battre plus que les autres. Très dense, parfois comique, le plus souvent tragique.

     

    Bonheur d’occasion (1945)

    Gabrielle Roy (1909-1983)

    Premier roman de cet auteur classique franco-canadien, qui lui a valu une grande notoriété, (Prix Femina en 1947), Bonheur d’occasion s’attache au quotidien et à la misère des petites gens du quartier de Saint Henri à Montréal en 1940, alors que la ville souffre encore des conséquences de la grande dépression.

    roman étranger,canada

    Gabrielle Roy et les enfants du quartier Saint Henri, par Conrad Poirier https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=34366565

     

    roman étranger,canadaLe bruit des choses vivantes (1991)

    Elise Turcotte (1957-   )

    Premier roman de l’auteur après plusieurs recueils de poésie. Une très belle histoire à l’écriture poétique –quoique pas très facile d’accès- qui raconte le lien fusionnel entre une jeune mère séparée et sa fillette de 3-4 ans. C’est  presque un huis clos, durant un an, le temps d’une reconstruction, le regard intérieur de cette jeune femme, allant vers une ouverture  sur le monde qui l’entoure.

     

    roman étranger,canadaVa savoir (1994)

    Réjean Ducharme (1941-   )

    Tandis que sa femme (Mamie) s’évite en courant le monde, Rémi Vavasseur s’échine à retaper une vieille maison dans l’espoir –assez mince- qu’elle l’y rejoindra. On trouve aussi dans ce récit : les rapports aux voisins, l’entraide, la relation avec une enfant qui lui rend visite. L’écriture de Réjean Ducharme est particulière, pleine de jeux sur les mots et la syntaxe.

     

    roman étranger,canadaUn petit pas pour l’homme (2012)

    Stéphane Dompierre (1970-   )

    Daniel a 30 ans, et vient juste de larguer sa copine pour entamer une vie libérée de célibataire. Ce petit roman plein d’humour détaille les étapes classiques par lesquelles il passe : phase 1 : ce soir je baise / phase 2 : je ne veux plus voir personne / phase 3 : appelez-moi quelqu'un / phase 4 : on est bien, tout seul / phase 5 : j'suis amoureux. Humour masculin léger… cachant une réelle remise en question.

     

    roman étranger,canadaLa petite et le vieux (2010)

    Marie-Renée Lavoie (1974-    )

    A 8 ans, Hélène se fait appeler Joe, parce qu’elle voudrait, comme un garçon accomplir des exploits.

    En attendant, elle se contente d’aider discrètement ses parents en gagnant quelques sous avec la distribution des journaux, et se lie d’amitié avec un vieux voisin au bout du rouleau. Avec un regard frais et tendre d’enfant qui découvre la vie, l’auteur nous parle de la réalité des adultes pas toujours bien rose, dans  la société des années 1980 dans un quartier un peu miteux de Québec. Un récit tendre, généreux et attachant, aux accents québequois savoureux.

     

    roman étranger,canadaUn dimanche à la piscine à Kigali (2000)

    Gil Courtemanche (1943-2011)

    Journaliste et scénariste québequois en Afrique, l’auteur a signé de nombreux documentaires sur le tiers monde. Publié en 2000, l'histoire raconte une relation amoureuse entre un Canadien expatrié d'un certain âge et une jeune Rwandaise à Kigali, la capitale du Rwanda. Toute l'intrigue est construite autour du génocide rwandais de 1994, et de l'épidémie de SIDA.  En 2006, le roman a été adapté au cinéma par Robert Favreau « Un dimanche à Kigali ».

     

    roman étranger,canadaLa tournée d’automne (1993)

    Jacques Poulin (1937-   )

    Le chauffeur du bibliobus, acceptant mal de vieillir, a décidé que cette tournée d’automne serait sa dernière. Mais sa rencontre avec Marie, la cinquantaine, régisseur d’une petite tournée d’artistes, change la donne. On a envie de les suivre dans les villages entre Québec et la côte nord du Saint Laurent. Pudique et intimiste, un roman plein de douceur.

     

    Voir aussi Catherine Mavrikakis (1961- ), Samuel Archibald (1978- ), et les critiques de livres de Patrick Sénécal (1967- ), Monique Proulx (1952- ), Jocelyne Saucier (1948- ), et Marie Laberge (1950- )…

  • La perte et le fracas

    roman étranger, CanadaLa perte et le fracas

    Alistair MacLeod

    L’Olivier, 2001

    Traduit de No Great Mischief

     

    Toronto à l’heure des manifestations,  Alexander retrouve son frère aîné Calum dans un meublé miteux,  et lui apporte à boire pour le soulager. Les souvenirs remontent...

    Pour toujours  « Gille Beag ruadh » (le petit rouquin) pour la famille, Alexander a grandi chez des grands parents affectueux, tandis que les aînés étaient livrés à eux-mêmes dès l’adolescence dans une nature rude et des conditions de vie rudimentaires...

    Mais il faut remonter aux origines pour bien comprendre le "Clan Calum Ruaidh" : depuis le départ de Calum le rouge d’Ecosse en 1779 et son installation avec ses douze enfants à l'île du Cap Breton,  « le pays des arbres » sur la côte est du Canada. Puis l’expansion du  clan en Nouvelle Ecosse et dans toute l'Amérique du Nord, avec des coups durs, mais une grande solidarité familiale.

    C’est toute l’ambiance de la Nouvelle Ecosse des deux siècles derniers qui est rendue par l’auteur. De l’époque où l’on pouvait disparaître englouti par les glaces en rentrant chez soi après une bonne soirée en famille, de celle où l’antagonisme entre Québequois ou Francontariens et anglophones pouvait mener à des affrontements à la moindre étincelle… Mais aussi des soirées autour d’un violoneux, du travail à la ferme, en mer, ou dans les mines d’uranium du nord de l’Ontario,… Et toujours, en arrière-plan, la force d’un clan, l’importance des racines celtiques.

    roman étranger,canada

    J’ai seulement regretté une alternance trop systématique entre les différentes époques, et des effets de répétition. Certainement voulus par l’auteur, pour rendre la tradition orale du clan et les leitmotivs  familiaux, ils sont peu satisfaisants après traduction.

    Aline

    roman étranger,canada

    Alistair MacLeod est un écrivain canadien de langue anglaise qui a eu une carrière de professeur à l'université de Windsor, Ontario. Né en 1936 au Saskatchewan et mort en 2014, il avait 10 ans quand sa famille, d’origine écossaise, s’est installée dans une ferme sur l’île du Cap Breton en Nouvelle Ecosse. Il a étudié à l’Université Saint François Xavier et au Nouveau Brunswick, tout en travaillant comme  bûcheron, mineur, pêcheur pendant les vacances pour payer ses études. Son œuvre, inspirée par les paysages et l'histoire de l'île du Cap-Breton sur la côte atlantique du Canada, se limite à deux recueils de nouvelles et un roman. Elle est cependant reconnue comme marquante dans la littérature canadienne contemporaine.

    Une sélection de ses nouvelles a été publiée en français en 2006 sous le titre Chien d'hiver (éd. de l'Olivier).

  • Les étoiles s'éteignent à l'aube

    roman étranger, Canada, indien, natureLes étoiles s’éteignent à l’aube

    Richard WAGAMESE

    Editions  Zoé (Ecrits d’ailleurs), 2016, 284 p., 20 €

    Traduit de l’anglais Medicine Walk par Christine Raguet

    Richard Wagamese, né en 1955, appartient à la nation amérindienne Ojibwé, originaire du nord-ouest de l’Ontario, et vit à Kamloops, en Colombie Britannique. Il a exercé comme journaliste et producteur pour la radio et la télévision, et est l’auteur de 13 livres publiés en anglais au Canada. Depuis 1991, il est régulièrement récompensé pour ses travaux journalistiques et littéraires. Les Etoiles s'éteignent à l'aube  est son premier roman traduit en français.

    "Si tu apprends à devenir un homme bon, tu seras aussi un bon injun".

    Elevé dans une ferme isolée par « le vieil homme », Franklin Starlight est un garçon calme et solitaire, appréciant le travail bien fait et la rigueur du mot juste. Rien de superflu chez ce jeune homme en accord avec  la nature sauvage qui l’environne, capable de chasser l’orignal ou de garder son calme face à un grizzly.

    Réclamé par son père biologique, Eldon, il l’accompagne pour un dernier voyage dans l'arrière-pays magnifique et sauvage de la Colombie britannique. En quête d’une forme de relation père/fils, Eldon tente d'expliquer sa vie, celle d’un métis indien sans racines,  et de faire comprendre à son fils pourquoi il n’a pas réussi à être un « vrai » père pour lui. Pendant ce temps, c’est le fils qui endosse le rôle du protecteur et de l’initiateur.

    Dans ce roman court, à l’écriture forte et précise, l’auteur explore la relation père/fils, mais aussi la transmission (ou non) d’une culture indienne et d’un rapport privilégié à la nature.

    Aline

  • L'île du serment

    roman policier, Ecosse, CanadaL’île du serment

    Peter MAY

    Le Rouergue (Noir), sept 2014, 423 p, 23€

    Traduit de l’anglais Entry Island par Jean-René Dastugue

    Sur la petite île d’Entrée, dans l’Archipel de La Madeleine, à l’est du Canada, personne ne ferme jamais sa porte à clef, et aucun crime n’a jamais été commis… jusqu’à cette nuit de tempête où James Cowell est poignardé à mort. Selon sa femme, l’assaillant s’en serait d’abord pris à elle. Cependant, elle est la principale suspecte des enquêteurs dépêchés de Montréal. Ambitieux, le lieutenant Crozes est pressé de boucler l’affaire.

    Un seul enquêteur doute de la culpabilité de l’épouse : Sime Mackenzie, adjoint à l’équipe policière parce qu’il est bilingue, et que la communauté d’origine écossaise vivant sur cette île est anglophone. Au premier regard, il a éprouvé une sensation de déjà connaître Kirsty Cowell, et l’enquête provoque chez lui des rêves en lien avec son histoire familiale, maintes fois racontés par sa grand-mère dans son enfance. Seulement voilà, Sime est mal intégré à l’équipe d’enquêteurs, d’autant plus que l’insomnie chronique qui s’est emparée de lui au départ de sa femme le laisse totalement épuisé et déconcentré.

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    Île d'Entrée (source: tourisme Îles de la Madeleine)

    La construction du livre est intéressante, faisant de nombreux aller-retours entre l’enquête actuelle et l’histoire de l’ancêtre homonyme de Sime, parti des îles Hébrides en 1847, aux temps de la famine de la pomme de terre. Malgré son intérêt historique certain, cette reconstitution de l’émigration forcée des îliens écossais  est aussi ce qui fait la faiblesse du roman, car elle dilue trop l’enquête, devenue presque annexe.  Comme Sime, qui se perd dans sa quête des origines et ses problèmes personnels, l’enquête est phagocytée par l’histoire des colons. Pour rééquilibrer le roman policier, il aurait sans doute fallu que Peter May donne plus de substance aux autres policiers, qui restent trop en marge.

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    Grosse Île, station de quarantaine (source: Immigration Canada)

    L’auteur s’est inspiré des Highland Clearances, expulsions forcées des villages des îles Hébrides par les propriétaires terriens qui voulaient rentabiliser leurs terres en y installant des moutons, et ont envoyé par la force de pleines cargaisons de paysans sur les bateaux en partance pour le Canada, dans des conditions épouvantables.

    Vers 1830, uniquement à Québec, de loin la principale porte d'entrée au Canada, l’exode européen représente une moyenne annuelle de 30 000 arrivants dont les deux tiers, environ, sont des Irlandais. Or, cette immigration sans précédent sur le fleuve Saint-Laurent survient au moment où de grandes épidémies de choléra et de variole s'abattent sur l'Europe. Afin d'empêcher la propagation des maladies, la station de quarantaine de la Grosse Île, située dans le fleuve Saint-Laurent en aval de Québec, est établie en 1832 et fermée en 1937. Toutes proportions gardées, Grosse Île est comparée, pour le Canada, à Ellis Island. Près de 7000 personnes sont enterrées à Grosse-Ile, la plupart étant des victimes de l’épidémie de typhus de 1847.

    Note de l’auteur, p. 421 :

    La plus grande croix celtique du monde a été érigée sur Grosse-Île en mémoire des 5000 immigrants qui y moururent en 1847. Ce livre est dédié à la mémoire de tous les Ecossais qui, eux aussi, y laissèrent la vie, et aux autres, si nombreux, qui sont venus participer à la construction de l’extraordinaire pays qu’est aujourd’hui le Canada.

    Aline