Le Bon, la Brute et le Renard
Le Bon, la Brute et le Renard
Christian GARCIN
Actes Sud, 2020, 325 p., 21€50
Le détective-chaman Zuo Luo, "Zorro" chinois spécialiste du sauvetage de demoiselles en danger et son acolyte Bec-de-Canard, plus fin qu’il n’y parait, sont invités dans l’ouest américain pour rechercher la fille disparue de Big Meinfei. Les trois Chinois enquêtent dans le désert du Nevada, dans une compétition inconsciente avec deux flics locaux. Contrairement à son habitude, Zuo Luo ne maîtrise rien, et se laisse mener par son enquête, envahi du sentiment de son inutilité dans ce pays dont il ne comprend ni la langue ni les usages…
De son côté, un journaliste chinois et auteur réticent, Chen Wanglin, est envoyé en France par son patron, dont la fille s’est évaporée. Occasion d’un regard décalé sur Paris et sur Marseille, pas si différents, au fond, de certaines ruelles chinoises.
Qui est le Bon, qui est la Brute, et qui le Renard ? Entre joutes de poésie chinoise et réflexions sur de possibles mondes parallèles, les personnages se laissent entraîner dans un jeu de miroir semi-conscient. Existent-ils autrement que comme personnages de fiction ? Sont-ils les acteurs ou les jouets de leur vie ? Servent-ils, enfin, à quelque chose ?
Dans ce "Road trip taoïste", un sans-abri peut vous offrir une anthologie de poésie classique chinoise, et une policière américaine cultivée porter le même nom (finnois) qu’un bar de Guangzhou. Lire ce roman pour sa thématique policière mènerait à une déception. En revanche sa construction, son ton, ses dialogues savoureux et les nombreux thèmes abordés en font un roman attachant et original.
Aline
"Tu lisais, toi, enfant ? demanda Bec-de-Canard. - Jusqu’à douze-treize ans, oui.
- Et après ? - Après j’ai été adolescent et je suis devenu con.
- Ouais, moi pareil. Plus tard on s’en rend compte, et on passe le reste de notre vie à essayer de redevenir aussi subtil, curieux, intelligent, malin et ouvert à tout qu’on l’était jusqu’à douze-treize ans. - Ça dépend des individus. Moi je suis devenu con plus tôt. A onze ans, maximum.
- C’est que tes hormones ont travaillé avant les miennes. J’étais peut-être un peu en retard pour mon âge. Et toi, Menfei ? - Moi j’ai toujours été con." (p. 202)
"Ai-je un corps ou n’en ai-je pas / Suis-je moi ou ne le suis-je pas / Ainsi ma pensée s’interroge / Assis contre la falaise le temps s’écoule lentement / Entre mes pieds poussent les herbes vertes / Sur le haut de ma tête tombe la poussière rouge " (Han Shan, p. 191)