Pour trois couronnes
Pour trois couronnes
François GARDE
Gallimard, 2013, 20€ (Folio 8€)
Philippe Zafar, jeune Libanais parti de Californie pour échapper à son destin dans l’entreprise familiale de vente de meubles, s’est inventé un métier de "curateur aux documents privés". Il assiste les familles après un deuil, en se chargeant du tri et du rangement des papiers du défunt. C’est généralement l’affaire d’une semaine ou deux de paperasse.
Mais voilà qu’en triant les dossiers de feu Thomas Colbert, un Français installé aux Etats-Unis depuis des décennies, à la tête d’un empire maritime, il fait une découverte intrigante : parmi les factures, lettres, cartes de visite et autres documents, se trouve le récit étonnant d’un matelot en escale dans un port tropical, en janvier 1949. Rédigé de la main de Thomas Colbert, est-ce un aveu déguisé de sa part ? Un exercice littéraire sans conséquence ? La riche veuve le charge d'enquêter.
Le manuscrit cache autant qu’il révèle, et notre Zafar, entre intuition et recherche systématique, suit la trace du matelot Colbert jusqu’à Bourg-Tapage. Dans ce port imaginaire de Micronésie, les combats des insulaires pour plus d’égalité et les "Troubles" de la décolonisation sont encore tout récents, et affleurent dans chaque conversation de Zafar avec les anciens. « Dans cette ville, chacun était un survivant des Troubles et en portait le poids » (p. 156)
François Garde imagine toute une ancienne colonie et ses témoins hauts en caractère, totalement crédibles et passionnants. Parmi les insulaires, beaucoup de femmes fortes, comme Lucienne Elisabeth, syndicaliste militante devenue déléguée à l’Assemblée. L’adage ne dit-il pas « nos femmes sont notre trésor » ? Au reste, il faut être né d’une femme insulaire pour pouvoir prétendre être soi-même insulaire.
Très dépaysant, le roman mêle adroitement une enquête généalogique à rebondissements, et l’histoire mystérieuse des pièces d’or évoquées dans le titre, trois couronnes d’Alexandre-Auguste disparues et réapparues à plusieurs reprises, qui ont un rôle symbolique important de "fortune" dans tous les sens du terme. Les motivations des protagonistes ne sont jamais tout à fait claires, entre quête de la vérité, volonté de bien faire et intérêts personnels. L’histoire est révisée en fonction des points de vue, et de l’avancée de l’enquête. Au reste, dès son arrivée au port, Zafar reçoit une mise en garde du vieux professeur et historien local : « Toujours se méfier des contrats conclus à Bourg-Tapage ! ».
Un autre aspect intéressant du récit est la mise en abîme entre l’enquête en paternité et l’histoire personnelle de Zafar, son rapport à son père décédé lorsqu’il était adolescent, et au Liban, son pays d’origine.
François Garde, ancien haut fonctionnaire en Nouvelle Calédonie et dans les Terres Australes et Antarctiques, a reçu de nombreux prix pour son premier roman Ce qu’il advint du sauvage blanc, chroniqué ici. Il est également l’auteur du splendide Marcher à Kerguelen.
Aline