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ghana

  • Les fils conducteurs

    roman, Ghana, environnement, travail des enfantsLes fils conducteurs

    Guillaume POIX

    Verticales, 2017, 224 p., 18 €

     

    Agbogbloshie, immense décharge électronique, située dans la banlieue pauvre d’Accra, grande ville portuaire et capitale du Ghana. "Nécropole de notre monde", inépuisable gisement constitué de monceaux d’appareils inertes : «congélateurs et réfrigérateurs, tous les degrés de la chaîne du froid, du chaud aussi : déblai de gazinières, fers à repasser, machines à café, mais surtout amas d’ordinateurs, écrans, modems et télévisions, agrégat de tablettes, téléphones, claviers et smartphones, entassement de moniteurs, imprimantes, processeurs, souris, périphériques, disques durs, … coulisses d’une nouveau monde pas tout à fait recyclé. » C’est aussi un cauchemar environnemental, boue noire et corrosive qui brûle la peau, fumées toxiques, arrêtes tranchantes,… Ironiquement, l’entrée en est marquée par un panneau « Golden Gate ».

    roman, Ghana, environnement, travail des enfants

    C’est là qu’échoue Jacob, 11 ans, orphelin de père, qui voit dans « la fouille du merdier » un moyen de subsistance, voire un possible eldorado. Il apprend auprès de deux autres jeunes, Isaac et Moïse, comment s’y orienter,  « pucher sur la bosse », « chiper » et trier les métaux, et repérer dans le ventre des appareils ce qui peut se revendre pour une poignée de cédis.

    Parallèlement,  l’auteur pose un regard peu complaisant sur Thomas, photographe occidental  en route pour photographier la décharge, peu baroudeur de nature, anxieux de tomber malade, méconnaissant totalement le pays où il se rend. Il juxtapose le quotidien de Thomas, qui s’inquiète de détails -trousse à pharmacie, rougeurs et piqures d’insectes- à celui du jeune « bosseur » survivant dans des conditions totalement insalubres.

    Pour autant, tous deux vivent –à des âges différents-  un moment charnière, celui où un fils échappe à sa mère, s’éloigne et prend ses décisions. Thomas quitte sa mère Anne pour entreprendre un reportage photographique, Jabob les bras d’Ama pour gagner quelques cédis.

    Guillaume Poix n’a pas assez de mots pour décrire l’Agbogbloshie monstrueux et toxique,  et ses profiteurs, qui pullulent sur la misère.  Le langage est, de fait, ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de ce roman. Il donne une grande puissance aux dialogues colorés et vivants des biffeurs, avec leur argot imagé et mâtiné de multiples langues. En revanche ses descriptions m'ont paru bavardes et abondantes, au risque d'éloigner du récit.

    Un premier roman fort et nécessaire. Une chose est certaine : après sa lecture, vous ne jetterez (et donc n’achèterez) plus aucun appareil électronique à la légère ! Sur ce sujet, voir ici reportage du Fil Rouge

    Aline

  • Le ravissement des innocents

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    Taiye SELASI

    Gallimard (Du monde entier), juin 2014, 365 p, 21.90€

    Traduit de l’anglais Ghana must go par Sylvie Schneiter

    "Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de la chambre". Ancien chirurgien chevronné, il se perd dans la contemplation de son jardin et dans ses souvenirs au lieu d’aller chercher ses médicaments lorsque vient  l’infarctus… Kweku et Fola, autrefois couple magique, amoureux, symbole de la réussite d’immigrés africains brillants aux Etats-Unis. Ensemble, ils ont eu quatre enfants, chéris et pleins de qualités. Et pourtant, la famille est éparpillée depuis des années...

    Dans une construction habile, l’auteur remonte le cours du temps par petites touches, s’attardant sur quelques moments déterminants pour chaque membre de la famille. Fola, femme forte et intelligente, Olu, le fils parfait, chirurgien à son tour ; les jumeaux, la belle Taiwo et son frère  Kehinde, autrefois si proches qu’ils s’entendaient penser ; et Sadie, la petite dernière, la jalouse. Tous se rendent au Ghana pour les funérailles. Ce voyage, à la fois retrouvailles et  retour aux racines familiales, est révélateur pour chacun.

    Un premier roman, exigeant et d'une grande puissance, autour d'une famille cosmopolite, qui a vécu beaucoup de migrations, comme Fola partie du Nigeria après l’assassinat de son père. A propos de l’anonymat conféré à son père par la mort, de l’indifférence qui la transforme d’une fille en deuil  en un élément de l’histoire :

    "Oui, cela se tenait, le début de la guerre au Nigeria, bien sûr.  Sans tenir compte que les Haoussas ciblaient les Ibos, ni que son père était un Yoruba, sa grand-mère une blanche, les domestiques des Fulanis. Dix morts, un seul Ibo, des détails mineurs auxquels personne n’attachait d’importance. Elle le sentit en Amérique, à son arrivée en Pennsylvanie : ses camarades de classe et ses professeurs considéraient que l’événement, pour tragique qu’il fût, était normal en quelque sorte. Elle avait cessé d’être Folasadé Somayina Savage pour devenir la représentante d’une nation générique ravagée par la guerre. Sans attributs. Ni odeur de rhum. Ni posters des Beatles. Ni couverture en tissu kente jetée sur un grand lit. Ni portraits. Rien qu’une nation ravagée par la guerre, désespérante, inhumaine, aussi humide et chaude que n’importe quelle autre nation ravagée par la guerre du monde… Après tout, on n’arrêtait pas de trucider les pères aux larges épaules et aux cheveux de laine d’enfants originaires de pays chauds ravagés par la guerre, n’est-ce pas ?...

    Elle ne regrettait pas Lagos, la splendeur, la vie formidable, l’impression de richesse – mais son identité livrée à l’absurdité de l’histoire, l’étroitesse et la naïveté de son ancienne individualité. Puis elle cesserait de s’intéresser aux détails, à l’idée que les attributs conféraient une forme à l’existence. Une maison ou une autre, un passeport ou un autre, Baltimore, Boston, Lagos ou Accra, vêtements élégants ou de seconde main, fleuriste ou avocate, la mort ou la vie – en fin de compte, rien n’avait beaucoup d’importance. S’il était possible de mourir sans identité, dissocié du moindre contexte, on pouvait vivre de cette façon."

    La première partie du roman pose les personnages, elle est donc un peu plus difficile d'accès, le temps de s'y retrouver dans l'arbre généalogique (fourni p. 13) et les différents noms. Ensuite, le lecteur essaie de comprendre comment la famille a pu éclater aussi complètement, et ce que peuvent guérir les retrouvailles. Un livre à lire et à relire, pour les pensées que prête l'auteur à ses personnages sur la vie, la famille,...

    "Avec Ama, [Kweku] est tendre… Il veut qu’elle soit satisfaite. Il le veut parce qu’elle peut l’être. C’est une femme qui peut être satisfaite. Elle ne ressemble à aucune femme qu’il a connue. Ou à aucune femme qu’il a aimée. Il n’est pas certain de les avoir connues, d’y être parvenu, ou qu’un homme soit capable de connaître une femme. Ainsi celles qu’il avait connues ignoraient la satisfaction… Non par cupidité. Jamais. Il n’aurait jamais qualifié sa mère de cupide, ni Fola, ni ses filles. Des femmes d’action qui réfléchissaient, des amantes toujours en quête, toujours prêtes à donner mais, surtout, des rêveuses, ce qui était bien plus dangereux.

    Des rêveuses. Des femmes très dangereuses. Qui regardaient le monde par leurs grands yeux rêveurs et qui, au lieu de le voir tel qu’il était, « brutal, absurde », etc., songeaient à ce qu’il pourrait être ou devenir. Des femmes insatiables. Jamais comblées. Qui voulaient avant tout l’impossible… Et le pire : qui le regardaient et voyaient ce qu’il était susceptible de devenir, plus magnifique que ce qu’il se croyait en mesure d’être.

    Ama n’a pas ce problème. Du moins n’a-t-il pas ce problème avec Ama… Les pensées d’Ama ne sont pas des substances dangereuses. Son état naturel est le contentement. Une révélation. Partager la vie d’une femme heureuse en permanence, au repos – heureuse ? Et avec lui. Voici pourquoi (croit-il) Kweku aime Ama"

    Aline