06/03/2020
L'albatros
L’Albatros
Nicolas HOUGUET
Stock (Littérature générale), 2019, 224 p., 17.50€
Mardi 20 octobre 2015, la foule se presse pour le concert de Patti Smith à l’Olympia. Nicolas Houguet, maladroit, empêché, est "absurdement placé, comme toujours, au-dessus de la table de mixage". Pourtant, dès l’entrée en scène de Patti, soixante-huit ans, la puissance des sorcières, le regard sauvage, la magie opère.
"La dame s’avance. Altière. Et paradoxalement très simple. En costume sombre que ne vient rehausser qu’une chemise claire sous le gilet et la veste. La chevelure blanche… Les mains de Patti Smith qui s’élèvent, s’écartent au-dessus d’elle comme des bannières longilignes et diaphanes… D’une humanité et d’un charisme de chaque geste, alternant les sourires et l’emphase. Jusque dans son maintien."
Au fil du concert, et de l’intégralité du premier album Horses, chaque chanson évoque des souvenirs d’enfance, le soutien familial inconditionnel, des émotions, des réflexions sur la façon dont l’auteur ressent son handicap, et ses relations à l’art et au monde. Chez Patti Smith, Nicolas retrouve toutes ses références poétiques et artistiques, de Rimbaud à Baudelaire et Jim Morisson. L’art qui permet d’échapper à son enveloppe corporelle, la folie cathartique du concert. "Les albatros rentrés maladroits dans cette salle ce soir-là ont pu grâce à Patti Smith regagner le sublime."
Beau témoignage, un peu exalté, c’est un livre à déguster, à poser, à reprendre, en s’arrêtant sur les phrases « justes » qui résonnent en soi. (Chez moi, il a fini en forêt de marque-pages). Toute une vie dans un concert de Patti Smith.
Aline
"On est du souffle divin.
Et tout ça danse en mouvements désarticulés. Comme des émotions qui s’incarnent dans des gestes maladroits.
Si j’ai appris à aimer mon corps, et mon handicap, c’est qu’il en est l’illustration parfaite. Qu’il ne cache rien de mes émotions. Qu’il les dévoile comme des secrets qui se trahissent dans des contractions. C’est très beau quand votre corps exagère votre vérité. Il vous pousse à l’épouser comme une harmonie. Il vous envoie des messages. J’ai mis beaucoup de temps à apprécier cette mélodie curieuse, à y entendre un accord étrange, mélancolique et dissonant. Mais pas dénué de grâce. Je suis en la mineur. Un morceau d’Arvo Pärt." (p. 116)
La bande son : Jim Morisson
Patti Smith (Horses),
Arvo Pärt et ses très beaux morceaux minimalistes pour piano et violoncelle (Für Alina, Spiegel im Spiegel, Tabula Rasa...)
16:51 Publié dans Critiques de livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paroles et musique, autobiographie, roman, handicap
26/02/2020
Envole-moi
Envole-moi
Annelise HEURTIER
Casterman, 2017, 363 p., 12.90€
Swann, lycéen passionné de musique et de guitare, participe à un vide-grenier pour gagner les 200€ manquants pour acheter LA guitare Gibson de ses rêves. C’est là que sa vie s’envole, avec la rencontre qui le fait passer de sympathique jeune charmeur à amoureux fou. Je n’en dis pas plus pour laisser aux lecteurs le plaisir de la découverte.
Simplement, sachez que c’est une touchante histoire d’amour, écrite avec justesse, qui pousse à grandir vers une relation profonde, engagée, et à ignorer le regard des rabat-joie.
Ce roman ado est plein de tendresse, avec des personnages majoritairement positifs, et parcouru de musique et de poésie. Il se dévore –facilement- d’une seule traite, avec émotion.
Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,
Nous apportait l'odeur des fleurs qui s'ouvrent tard ;
La nuit tombait ; l'oiseau dormait dans l'ombre épaisse.
Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse ;
Les astres rayonnaient, moins que votre regard.
Moi, je parlais tout bas. C'est l'heure solennelle
Où l'âme aime à chanter son hymne le plus doux.
Voyant la nuit si pure et vous voyant si belle,
J'ai dit aux astres d'or : Versez le ciel sur elle !
Et j'ai dit à vos yeux : Versez l'amour sur nous !
Victor Hugo (Contemplations)
10:14 Publié dans Critiques de livres, Livres pour ados | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman ado, roman d'amour, handicap
02/01/2017
Homme invisible à la fenêtre
Homme invisible à la fenêtre
Monique Proulx
Boréal (1993)
Le roman s’ouvre sur une toile gigantesque, opposant monstres noirs et grimaçants statiques, et tout un ballet d’humains en plein vernissage. Mais la réelle opposition est plutôt celle qui existe entre les acteurs, et celui qui ne se considère plus que comme spectateur, Max.
« Je vis pour peindre… Je sors peu. Les périples à l’extérieur déstabilisent, embringuent dans des pièces qui exigent une participation. Je joue mal, publiquement, je suis un exécrable acteur. Je fais, par contre, un spectateur excellent, toujours disposé à admirer ce qui est admirable. Il n’y a pas de mal à être spectateur : l’important c’est de connaître l’emploi qui correspond le mieux à ses petits talents. Sans les spectateurs, à quoi serviraient les acteurs ? »
Artiste peintre, centre involontaire autour duquel gravitent amis, admirateurs et modèles. Bienveillant, silencieux, il laisse sa porte ouverte à tous, écoute et peint sans juger. Fermé au passé, il s’est mis en sommeil pour ne pas raviver la douleur de la perte de ses jambes… et de son grand amour. Son statut d’infirme lui confère une forme d’invisibilité, dans son rôle d’observateur inoffensif.
« Je me souviens de la confiance immédiate de Maggie, sa belle tête fauve si rapprochée de mon épaule, disposée à livrer son âme avant que je la réquisitionne, disant des choses vertigineusement dépourvues de rouerie…. Je me souviens de sa confiance immédiate comme d’une injure en même temps. Il n’y a que les très jeunes enfants, les vieillards bavotants –et les infirmes- dont on ne se méfie pas. »
Monique Proulx dirige le regard de l’artiste pour nous présenter une galerie de portraits, façades sous lesquelles le peintre perçoit l’être intérieur complexe : longue figure pâle d’artiste à succès, Gérald Mortimer, dévoué jusqu’à l’abjection ; Maggie, à la beauté éclatante, déboulant sans prévenir avec ses états d’âme ; Julienne, la mère tenue à distance ; Julius Einhorne, l’énorme propriétaire ; Laurel et sa relation complexe à la mère... Mais c’est quand il fait son auto-portrait avec sa « fidèle Rossinante » qu’il est le plus incisif, lucide et plein d’humour noir.
D’une écriture forte et évocatrice, Monique Proulx, en traçant le portrait de ceux qui entourent Max, parvient à faire ressentir intensément les tourments intérieurs du peintre. Elle dépeint l’importance du regard, qui souvent évite et glisse sur les gens qui gênent (gros, handicapés…) tandis que le peintre, lui, voit la personne et la révèle (jeu du miroir). Ce roman est aussi une histoire d’amitiés et d’amour, profond et douloureux, où le renoncement est une bataille sans cesse renouvelée. Vivre à travers les autres se révèle insuffisant lorsque le passé vient cogner à la fenêtre avec insistance.
Merci Frédérique de m’avoir fait découvrir ce splendide roman !
Aline
Née à Québec en 1952, Monique Proulx se consacre à l’écriture depuis 1980. On lui doit de nombreuses nouvelles, plusieurs dramatiques de soixante minutes diffusées sur Radio-Canada (Un aller simple, et Les gens de la ville), deux pièces de théâtre et plusieurs scénarios. Le film Le sexe des étoiles, tiré de son roman éponyme, a remporté de nombreux prix en 1994. Homme invisible à la fenêtre a inspiré Souvenirs intimes, réalisé en 1999 par Jean Beaudin.
Ses romans : Le sexe des étoiles (1987), Le cœur est un muscle involontaire (2002), Champagne (2008), Ce qu’il reste de moi (2015).
12:12 Publié dans Bouillon de lecture, Coups de coeur, Critiques de livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman étranger, canada, handicap, peinture
29/07/2013
Avant toi
Suite à un accident, Will est tétraplégique. Les moyens de sa famille lui permettent de recevoir les meilleurs soins, de vivre dans un cadre agréable et d'être accompagné en permanence par des auxiliaires de vie. Néanmoins, il refuse de vivre dans ces conditions tellement éloignées de sa vie d'avant où il multipliait les voyages et les aventures.
Depuis que son père a perdu son travail à la menuiserie, Lou a plus que jamais besoin de rapporter un salaire à la maison. Elle accepte donc un CDD de six mois pour s'occuper de Will pendant la journée, malgré l'accueil glacial et le cynisme de celui-ci, qui rendent son travail accablant. Peu à peu, des liens se créent entre la jeune fille pauvre, originale et peu sûre d'elle et le jeune homme riche et cultivé mais désespéré.
L'intrigue rappelle le film Intouchable, et pourrait verser dans le mélo facile, avec -en prime- une histoire d'amour. Cependant l'ensemble n'est pas simpliste, le regard sur le handicap fait réfléchir. Le lecteur s'attache aux personnages, qui ont tous des positions différentes par rapport à l'euthanasie, et se battent pour les faire respecter. L'issue, émouvante, est loin d'être évidente si bien que l'attention est soutenue jusqu'au bout. Penser à se munir d'un mouchoir !
Avant toi
Jojo Moyes
Milady (Grande Romance)
Traduit de l'anglais Me before you par Frédéric Le Berre
13:23 Publié dans Critiques de livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman étranger, handicap, euthanasie
19/02/2013
Rêves en noir
Rêves en noir
Jo Witek, Actes Sud Junior (romans ADO, thriller), 2013, 268 p., 14.50 €
Depuis son enfance, Jill est aveugle. Jusqu'ici, très entourée et soutenue par ses parents, elle a assumé sa différence, surmonté tous les obstacles, pratiqué de nombreux sports avec volonté… Mais à 16 ans, elle a aussi envie de "se trouver jolie et normale dans le regard des autres". D'où une certaine propension à se mettre dans des situations dangereuses, comme le soir où elle décide de partir se promener dans Belleville sans sa canne blanche, et où, témoin d'une agression, elle ne peut rien faire, si ce n'est appeler de l'aide.
Lorsque les secours arrivent, la victime a disparu, aussi personne ne la croit. Aidée par ses copains de l'Institut National des Jeunes Aveugles, stimulée par des rêves en couleurs où elle voit un jeune homme en danger, elle enquête.
Le roman rend bien le sentiment de mal être et de révolte de la jeune fille, même s'il est difficile de croire qu'il puisse pousser une jeune fille intelligente à se conduire de façon aussi écervelée et à foncer dans les pièges sans se soucier des conséquences pour elle et pour ses amis. A défaut d'être un polar tout à fait crédible, le roman est en tout cas un riche témoignage sur les difficultés au quotidien des jeunes aveugles, où chaque geste est un défi :
"Je suis fatiguée de passer mes journées à relever des challenges. M'habiller, me brosser les dents, mettre la table du petit déjeuner, me rendre à l'école sans me faire écraser, trouver la bonne info sur internet ou un bouquin transcrit en braille : chaque minute de ma vie est une épreuve. C'est épuisant, je te jure !"
En même temps, leur remarquable travail d'adaptation est mis en évidence, et Jill et ses amis nous rappellent qu'ils sont des personnes normales, avec les mêmes émotions que les voyants, les mêmes envies, les mêmes joies aussi !
22:47 Publié dans Livres pour ados | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman ado, thriller, handicap
20/07/2012
témoignage en BD : la sclérose en plaques
Des fourmis dans les jambes, par Arnaud GAUTELIER, ill. Renaud PENNELLE
E. Proust (Atmosphères), 2012
Alex, 33 ans, publicitaire parisien, vit avec Chloé et leur fille Marion. Un appartement agréable, beaucoup d’amis… une vie idéale ? Pas vraiment : depuis 13 ans, Axel se bat contre un ennemi invisible : la sclérose en plaques. C’est leur quotidien qui est relaté dans cette BD, leur combat pour mener une vie normale et profiter des bons moments, sans occulter les jours de colère ou de découragement.
Derrière l’auto-dérision, Axel cache la lourdeur de sa vie, la fatigue, les jambes qui brûlent ou qui piquent comme si des milliers de fourmis en avaient fait leur territoire, les séances de chimio dans des centres hospitaliers déshumanisants, le fauteuil roulant trop lourd, les crottes de chiens sur les trottoirs parisiens… Le déménagement à Nantes va leur offrir un nouveau départ et une meilleure qualité de vie !
Scénario et illustration sont également réussis. Le récit, autobiographique, est réaliste et émouvant, tout en évitant l’écueil de la sensiblerie grâce à l’humour du personnage. Le dessin, dont les traits nets sont adoucis au lavis, offre toute une palette de noir, gris et blanc et des cadrages variés.
Un grand coup de cœur ! Aline
15:48 Publié dans Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : handicap, témoignage, bande dessinée
26/06/2012
la bande à Ed
La bande à Ed, de Geg et Jak
Grrr….art, 3 tomes parus de 2007 à 2011
Cette BD jeunesse d’humour présente une bande de jeunes dans sa vie quotidienne, avec le collège, les sorties, les rêves, les frustrations, les disputes… La particularité de la bande à Ed est de regrouper des jeunes plus ou moins inadaptés, voire en situation de handicap : Ed est en fauteuil roulant, Sam est « de petite taille », Chang malvoyant, Sam obèse,… Tous ont un commun le sens de l’humour noir et de l’auto-dérision. Les gags à la page sont drôles, parfois politiquement incorrects, et s’adressent à des enfants déjà grands (CM), voire à des adultes.
Un autre regard sur le(s) handicap(s).
Le rap des "bandits capés" :
"- j'suis toujours en surcharge, ma taille est extra-large, je supporte plus les regards, de tous les gens standard ! Leurs commentaires m'agressent, mais comment taire ma graisse, et comment rendre grâce, à mon envie d'espace ? (Sam)
- faut qu'ça roule pour moi, car je n'ai pas le choix, avec mes roues motrices, j'suis l'infirme de service, un genre de guéridon, qu'on laisse à l'abandon, celui qui reste là, mais ne marche pas au pas ! (Ed)
- ... "
13:05 Publié dans Coups de coeur, Livres jeunesse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, handicap