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italie

  • La vie parfaite

    roman, Italie, maternitéLa vie parfaite

    Silvia AVALLONE

    Liana Levi, 2018, 400 p., 22€

    Traduit de l’italien par Françoise Brun

     

    C'est toujours avec plaisir que j'ouvre un roman de Silvia Avallone et cette fois encore je ne suis pas déçue. Cette jeune autrice poursuit son exploration des motivations, des rêves et des difficultés de la jeunesse italienne contemporaine. Elle s'attache particulièrement aux laissés pour compte, ceux qui vivent dans des banlieues défavorisées. Dans La vie parfaite, elle traite de la maternité à travers le destin de deux femmes, Adèle et Dora.

    Adèle, 18 ans vit dans la cité des Lombriconi, près de Bologne, un monde livré à la violence et au désespoir. Elle attend un enfant non désiré de Manuel qui refuse cette grossesse. Manuel, un jeune à la dérive, doué pour les études et qui a tout laissé tomber à l'adolescence pour avoir de l'argent facile et se livrer au trafic de drogue pour le compte de la Mafia. Adèle ne sait quelle décision prendre : garder son bébé et l'élever dans des conditions difficiles et précaires, ou l'abandonner et lui donner sans doute une meilleure chance ? Elle ne se sent soutenue ni dans un choix ni dans un autre. Sa mère se reconnaît trop dans cette grossesse précoce et voudrait autre chose pour sa fille, mais elle l’exprime sans bienveillance et semble étouffée par ses propres regrets. Son père, parti alors qu'elle était enfant, est en prison.

    À quelques kilomètres, dans le centre de Bologne, Dora, 30 ans, professeur de littérature, est obsédée par le désir d'enfant. Après avoir tout essayé avec son mari Fabio, elle doit se rendre à l'évidence qu’elle n'aura jamais d'enfant, mais ne supporte pas que son corps lui fasse défaut. Ce désir l’a rendue aigrie, amère, jalouse des femmes pour qui la conception semble si facile. Lorsqu’ils finissent par décider d'adopter un enfant, Fabio et elle sont confrontés aux démarches administratives, en un parcours sans fin où il faut savoir être opiniâtre et garder courage.

    Autour de ces deux femmes au seuil de choix cruciaux, gravitent les témoins de leur histoire. Et tous ces êtres fragiles, ces losers magnifiques, cherchent un ailleurs, un lieu sûr, où l’on pourrait entrevoir la vie parfaite.  Les destins des uns et des autres se croisent. Ainsi Zéno, amoureux d'Adèle, est un élève brillant soutenu par Dora qui le pousse dans ses études, seul issue pour lui d'échapper à la banlieue. Il va influer sans le savoir sur le choix de Dora. C'est auprès de lui également qu'Adèle trouvera écoute et réconfort.

    Silvia Avallone nous place au cœur de la vie de femmes d’aujourd’hui et des choix auxquelles elles sont confrontées, de ceux qui bouleversent une vie. Elle nous donne à entendre la voix de celles qui luttent et cherchent leur place dans une société résolument conformiste et soumise au déterminisme social. Les hommes n’en sont d’ailleurs pas exempts et ceux qui tentent de s’en affranchir le payent au prix fort.

    Dans ce roman il est aussi question de transmission, de ce qui fait de nous des parents, mais aussi des histoires que nous portons et qui nous relient à l’enfance. Silvia Avallone tente aussi de répondre aux questions que l’on se pose forcément lorsqu’on devient parents. Est-on amenés à reproduire les échecs ou les schémas familiaux ? Quelle est la force des liens du sang face aux liens de l’amour ? Autant de questions qui restent parfois sans réponse mais qui font avancer vers la perspective d’une vie -si ce n’est parfaite, du moins conforme à nos choix et à nos espoirs.

    Annie P.

  • Ailleurs

    roman étranger,feel good,comité de lectureAilleurs

    Dario FRANCESCHINI

    L'Arpenteur, 2017, 233 p., 19 €

    Traduit de l'Italien Daccapo par Chantal Moiroud

     

    Quand un notaire endormi dans sa triste routine se réveille à la vie et à l'amour...

    Digne et respectable, Iacopo a toujours tout fait dans les règles. S'il ne file pas le parfait amour avec sa femme, il respecte les usages et mène l'étude paternelle avec conscience. Lorsque son père mourant le charge d'aller dans le quartier populaire de Ferrare retrouver ses 52 frères et sœurs, fruits de ses amours tarifées avec autant de mères différentes, il est abasourdi ! Il s'offusque, il s'affole, mais mène son enquête en fils obéissant.

    Dans le quartier joyeux et sans faux semblants de Ferrare, il rencontre lui aussi des personnages qui l'aident à changer son regard sur les gens, et transforment sa vie.

    Ce roman pétillant et positif est empli d'un grand respect pour les "petits", les sans-gloire. A Ferrare, on peut afficher fièrement sa condition, que l'on soit plombier, putain ou voleur. Certaines scènes sont tellement imagées que l'on s'y croirait : le cimetière aux pierres tombales originales, l'état-civil parallèle (mais chut!... c'est un secret !), le banquet des bandits... Un régal vivifiant, une Italie qui danse et qui chante, avec une chute... pas aussi convenue qu'on pourrait le croire.

    Aline

  • Eva dort

    roman étranger, Italie

     

    Eva dort

    Francesca MELANDRI

    Gallimard, 2012, 393 p., 24 €

    Traduit de Eva dorme par Danièle Valin

     

    Dans ce roman captivant Francesca Melandri nous fait découvrir un épisode méconnu de l’histoire italienne. En 1919, lors de la signature du traité de paix, les puissances victorieuses attribuent le sud du Tyrol à l’Italie qui n’en demandait pas tant. Les habitants, allemands blonds aux yeux bleus et à la peau claire, ne l’acceptent pas et sont bien décidés à garder leur langue, leurs coutumes, leur façon de vivre. Mussolini décide d’envoyer de nombreux Italiens du sud habiter cette terre. De plus, il pousse la population d’origine allemande à partir. En accord avec Hitler, le gouvernement italien leur propose de réintégrer leur « patrie ».

    Plusieurs générations ont vécu sur cette terre et aucun ne veut la quitter mais Mussolini menace les Dableiber, ceux qui restent, d’italianisation forcée. S’ils refusent, ils seront déportés en Sicile. Ils ne peuvent rester Allemands sur le sol italien. La grande majorité décide à contrecœur de s’en aller, mais la déclaration de guerre interrompt les départs. Cette région devient alors une terre de violence et de souffrance pour de longues années car la République italienne se montrera aussi dure avec eux que le régime fasciste. Allemands et Italiens ne s’aiment pas. Leur désaccord se manifeste même dans le nom, Sud du Tyrol pour les Allemands, Haut-Adige pour les Italiens !

    Des paysans, des ouvriers, de pauvres gens revendiquent le rattachement à la mère patrie. Ils ne l’obtiennent pas et dynamitent des pylônes. La répression est terrible, tortures, prison, mort. Elle entraînera la formation de groupes de terroristes qui, contrairement aux premiers, n’hésiteront pas à tuer. De nombreux soldats sont envoyés en renfort, des événements dramatiques ont lieu, la région ne connaît pas la paix. Un homme politique Silvius Magnano sait que l’Italie ne rendra jamais le Tyrol. Pour lui la seule issue est l’autonomie ; il ne cesse de la réclamer et finira heureusement par l’obtenir.

     

    L’histoire de la famille Huber commence avec le rattachement du Tyrol sud à l’Italie. A cette époque Hermann est un enfant orphelin ; cette blessure et une enfance difficile vont faire de lui un homme dur, froid, violent. Il épouse Johanna dont il a deux enfants Peter et Gerda. Leur destinée sera marquée par celle de cette terre allemande.

    Gerda est très belle, blonde aux yeux bleus et au corps magnifique, elle attire tous les regards. Un seul la séduit. L’amour est partagé, mais pas assez fort pour que Hannes passe outre l’interdiction de son père et l’épouse. Le passé a trop de poids. Gerda attend un enfant et se retrouve seule, chassée de chez elle. Elle doit élever sa petite fille Eva. Elle travaille dans le restaurant d’un grand hôtel à Merano. Francesca Melandri décrit avec beaucoup de détails les conditions de travail extrêmement dures et iniques. Elle gravit peu à peu les échelons et devient cuisinière mais elle paie cher son indépendance. Sa rencontre avec Vito, sous-officier de carabiniers, change sa vie et celle d’Eva. Leur amour cependant ne résiste pas au poids de la société.

    Eva a vécu une jeunesse en recherche d’amour. La profession de sa mère ne lui permettait de vivre avec elle que deux mois par an et elle en a beaucoup souffert. C’est une jeune femme marquée par son passé, qui refuse de s’attacher. Elle reçoit un appel de Vito, qu’elle n’a pas revu depuis 30 ans ; au crépuscule de sa vie, il lui demande de la rejoindre en Calabre. Pendant sa longue traversée du pays du nord au sud, dans des transports bondés, Eva se souvient et fait le bilan de sa vie.

     

    L’histoire des deux femmes s’entremêle avec celle de la région, ce qui rend ce récit d’autant plus passionnant. Francesca Mélandri alterne les chapitres, le présent d’Eva et le passé de Gerda, qu’elle relate avec beaucoup d’émotion. Un beau roman sur fond de montagnes et d’Histoire.

    Annie

  • Plus haut que la mer

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    Plus haut que la mer

    Francesca MELANDRI

    Gallimard, 2015

    Une histoire simple et belle écrite avec beaucoup d'émotion et de tendresse.

    Ce roman se passe dans les années 1970 en Italie secouée par la violence des brigades rouges. Luisa et Paolo ne se connaissent pas. Ils prennent le bateau qui les conduit sur une île au large de la côte italienne où a été installé un quartier de haute sécurité pour détenus dangereux, politiques ou de droit commun.

    Luisa, agricultrice,est une femme simple, qui travaille durement à la campagne et élève seule ses cinq enfants. Son mari, un homme violent, a commis un meurtre sous le coup de la colère et a également tué un surveillant en prison.

    Paolo est veuf, professeur de philosophie. Son fils a tué de sang froid plusieurs personnes pour des raisons idéologiques. Paolo a abandonné son poste d'enseignant se reprochant d'avoir peut-être, par ses idées, poussé son fils dans la voie de la violence. Un abîme s’est creusé entre eux.

    Le retour de Luisa et Paolo est différé en raison d'un accident de voiture qui les empêche de prendre le bateau parti sans les attendre pour éviter une forte tempête. Ils doivent passer la nuit sur l'île, surveillés par le gardien Pierfrancesco. Celui-ci, marié, père de deux enfants s’est laissé entraîner dans une spirale de violence liée à son travail. Il s’enferme dans le mutisme, laissant sa femme désemparée.

    Pas de péripéties spectaculaires mais une forme de douceur, de tendresse s’installe entre eux et va les amener, dans ce huit clos, à se libérer de qui les oppresse, à apporter un apaisement dans leurs vies abîmées. Cette nuit constitue pour eux une révélation et un nouveau départ.

    Francesca Melandri parvient étonnamment dans cet univers carcéral très violent à faire émerger beaucoup de tendresse et d’amour.

    Un très beau roman.

    Annie (voir autre critique)

     

     

  • Marina Bellezza

    roman étranger, Italie

    Marina Bellezza

    Silvia AVALLONE

    Liana Levi, 2014

    J’avais été enthousiasmée par le premier roman de Silvia Avallone, D’acier, qui avait remporté un vif succès. Marina Bellezza est de la même facture et se lit avec autant de plaisir.

    Silvia Avallone situe son histoire dans la vallée du Piémont qu’elle connaît bien. Autrefois prospère grâce à l’industrie lainière, elle est désertée suite à la crise et à la délocalisation des entreprises. Pas d’avenir dans cette région.

    Pourtant Andréa, le fils mal aimé du maire, rêve de reprendre l’élevage de vaches dans la ferme de son grand père et est sûr de pouvoir vivre grâce à la fabrication d’un fromage de qualité. Il aime passionnément Marina et voudrait l’entraîner avec lui dans cette aventure. Mais elle envisage un avenir complètement différent. Elle est belle, a une voix magnifique et veut devenir célèbre et riche quelque soit le prix à payer. Consciente de ses atouts physiques qu'elle montre effrontément, et de sa belle voix, elle se lance dans une "carrière" de chanteuse dans les fêtes de la région. Choisie pour participer à une émission de télé-réalité qui peut lui apporter la gloire, elle n’a aucun scrupule. Tous ses actes sont motivés par son ambition : gare à qui veut se mettre en travers de son chemin.

    Pourtant on sent chez elle une fragilité qui affleure parfois. Chacun porte en lui une blessure. Marina a souffert et souffre encore de l’abandon de son père qui l’a laissée avec une mère alcoolique. Elle voue pourtant une admiration totale à cet homme volage qui sait jouer de sa séduction ; il se manifeste de temps en temps mais la laisse toujours déçue, en manque de son amour.

    Andréa s’est toujours senti inférieur à son frère plus brillant que lui et préféré de ses parents, un frère qui a réussi et s’est expatrié aux USA. Un lien profond les unit mais leur histoire les a meurtris. Une passion dévorante les unit, une fièvre qu’ils se promettent à chaque fois d’éteindre...

    Les personnages principaux croisent d’autres protagonistes : la colocataire de Marina amoureuse éperdue d’Andrea, les amis d’Andréa ou encore l’impresario de Marina qui veut en faire la nouvelle star italienne. On s’attache aux personnages avec leurs blessures, leurs contradictions, leurs tensions et leurs déchirements .

    L’auteure dépeint avec beaucoup de justesse le monde de paillettes du show-biz mais aussi le basculement économique et social de la société. Elle raconte le désir de réappropriation consciente et respectueuse de la terre par de jeunes agriculteurs, un retour à la terre qui n’est pas un recul mais la volonté de développer un nouveau modèle économique basé sur des savoirs faire ancestraux qui, en Italie et ailleurs, séduit de plus en plus de jeunes.

    C’est un très beau roman qu’on ne lâche pas.

    Annie P.

  • Bouillon italien (2)

    roman étranger, Italie

    La nature exposée

    Eri DE LUCA

    Gallimard (Du monde entier), 2017, 16,50€

     

    Passeur-sculpteur, il narrateur habite près de la frontière, au pied des montagnes qu’il connaît par cœur, dans la dernière maison du village -ou plutôt la première en descendant des bois. Aux vacanciers, il prête ses livres, et vend ses trouvailles, cailloux ou bois flottés originaux, ou ses petites  sculptures ou gravures. Avec le boulanger et le forgeron, il a créé un « petit service d’accompagnateurs au-delà de la frontière »…

    Lorsque son choix de rendre leur argent aux migrants après leur passage est rendu public par une indiscrétion, c’est lui, à son tour, qui doit se réfugier plus loin. Cherchant du travail en ville, il se voit confier un travail délicat : la restauration d’un Christ en croix, chef d’œuvre sur lequel avait été pudiquement rajouté un drapé.

    Le récit, en deux parties, entrecroise deux thématiques autour du personnage de passeur/sculpteur. Il entre dans une dimension spirituelle lorsqu’il s’agit, pour le restaurateur, d’entrer en résonance avec la sculpture, et de retrouver les émotions et les intentions de l’artiste d’origine, traumatisé par son expérience sur le front de la 1ère guerre mondiale.

    Aline

  • Bouillon italien (1)

    roman étranger, Italie, adolescence

     

    Moi et toi

    Niccolo AMMANITI

    R. Laffont, 2012, 149 p. 15€

    Traduit de l’italien Io e te (2010) par Myriem Bouzaher

     

    Lorenzo, 14 ans, est un garçon mal intégré. Très affectueux avec ses parents, il  porte un regard froid sur la société, et se sent en constante inadéquation avec les autres. Selon le psychiatre que ses parents l’ont obligé à consulter, il souffrirait d’un « ego grandiose ».

    Pour éviter les ennuis, Il essaie consciemment  de compenser par mimétisme… avec un succès très relatif. A 14 ans,  pour rassurer  ses parents, il se force à jouer dans l’équipe de foot, prétend avoir des amis, et fait même semblant d’être invité au ski une semaine à Cortina chez une copine. Il a bien préparé son coup et déposé des provisions dans la cave de l’immeuble.

    Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que sa demi-sœur vienne elle aussi se réfugier dans la cave, dans un état pitoyable ! Ces deux personnages, pitoyables mais touchants, cohabitent quelques jours et réussissent malgré tout à établir une forme de relation d’entraide.

    L’écriture est sobre, non dénuée d’humour grâce au regard décalé de Lorenzo, totalement froid et détaché des gens. Noire aussi, le mal de vivre de ces deux jeunes laisse peu de place à l’espoir. 

    Des réflexions intéressantes sur le mimétisme, permettant la survie en milieu hostile :

    Mimétisme batésien (de Henry Walter Bates, XIXes)

    "une espèce inoffensive adopte l’apparence physique (motifs, couleurs, etc.) d’espèces nocives avec pour but de repousser les prédateurs qui ont appris à éviter les vraies espèces nocives. Le mime (c’est-à-dire l’espèce inoffensive) bénéficie donc de la protection contre les prédateurs sans avoir à dépenser de l’énergie pour consommer ou produire des toxines."

    Ce roman a été porté à l’écran en 2013 par Bernardo Bertolucci, avec  Jacopo Olmo Antinori dans le rôle de Lorenzo, et Tea Falco dans celui d'Olivia.  Titre original : Io e te.

    roman étranger, Italie, adolescence

  • Plus haut que la mer

    italie, prison

     

    Plus haut que la mer

    Francesca MELANDRI

    Gallimard (Du monde entier), 2015, 208p, 17.90 €

     

    "Si on veut garder quelqu’un vraiment à l’écart du reste du monde, il n’y a pas de mur plus haut que la mer" (p. 33). Cette île-ci n’est pas nommée. Entourée de courants dangereux, elle est aménagée en prison de haute sécurité pour les membres des brigades rouges ou les criminels dangereux.

    Après un long voyage en train et bateau, les visiteurs arrivent par la navette.  Bien qu’il ne comprenne ni n’admette ses agissements, Paolo continue venir voir à son fils,  révolutionnaire fanatique impliqué dans des assassinats politiques. Rongé par la culpabilité, il porte sur lui la photo de la fille d’une victime de son fils.  Luisa, femme d’un homme violent qui a tué plusieurs fois sous l’emprise de la colère, voit la mer pour la première fois. Travailleuse et femme de devoir, elle pense qu’elle « a de la chance » parce qu’elle a cinq beaux enfants et que ses séances au parloir ne se passent pas trop mal.  

    Bloqués sur l’île par une tempête, ils sont surveillés par Nitti Perfrancesco, un agent carcéral que ses années de service ont peu à peu déshumanisé.  Le temps d’une nuit et d’un repas partagé, des liens se tissent entre ces trois personnages, qui les aideront à évoluer.

    Dès le commencement du roman, le lecteur perçoit un grand décalage entre la nature de l’île et son affectation :

    "L’air épicé, ça non, ils ne s’y attendaient pas.  On distribua des numéros, des uniformes, des cellules. La vie quotidienne commença dans la nouvelle prison à régime spécial. Bref tout se passa plus ou moins comme ils s’y attendaient. Mais l’air parfumé, non. Même le plus clairvoyant des chefs de commando, le plus expert des condamnés à perpétuité ne l’avaient pas prévu. Tandis qu’ils débarquaient du chinook au milieu des hurlements et des coups de pieds, l’île les saisit de plein fouet par son arôme… Elle sentait le sel de mer, le figuier, l’hélicryse." (p. 17)

    Il pourrait s’agir de l’île d’Asinara, au large de la Sardaigne, qui a effectivement servi de lieu de rétention pour des criminels et à des mafieux dangereux, "terroristes rouges et noirs".

    Peu d’action, finalement, dans ce roman, qui s’attache avec sobriété à l’île et aux  relations entre ses différentes catégories de résidents, permanents ou de passage, et au regard des gardiens sur les différentes catégories de population carcérale.

    Aline

  • Giovanni le bienheureux

    roman étranger,italieGiovanni le bienheureux

    Giovanni ARPINO

    Belfond, sept 2014, 273 p, 18 €

    Traduit de l’italien Sei stato felice, Giovanni par Nathalie Bauer

    Premier roman de l’auteur, pour la première fois édité en France, Giovanni le bienheureux évoque Gêne, ses ruelles et ses ciels, et ses classes populaires.  A 23 ans, Giovanni, surnommé « Beau Gosse », vit au jour le jour, désœuvré et insouciant. Son seul objectif est de « faire de la vie une fête » : un toit sur sa tête, quelques livres, des cigarettes, un repas et de l’alcool suffisent à son bonheur. Gai, paresseux et charmant, il ne fait aucun projet, mais trouve mille astuces pour se procurer du vin, avec ses amis de galère Mario le bourlingueur, et Mange-Trou l’avaleur de grenouilles et d’anneaux.

    "J’aimais vivre ainsi, me lever après avoir dormi tout mon saoul, n’être attaché qu’au soleil ou au froid, aller au port, me promener. J’aimais m’assoir au soleil et au vent, dans les jardins du quartier avec les vieillards arthritiques, saluer les vendeuses de fèves de la piazza Vachero, m’étendre dans les collines et parler avec Mario de femmes, d’autrefois et d’après." (p. 26)

    "Lorsqu’il pleuvait fort, tout le monde s’enfermait au café et bavardait encore et encore. Peu à peu tous les clients se mettaient à boire, l’heure du poisson arrivait, et Aldo distribuait des cornets faits d’un épais papier gris qui échouait par terre, sous les tables. Ceux qui avaient mangé du poisson étaient alors pris d’une soif infernale, à l’exception de Mario : lui, il avait toujours soif…. Mario aimait beaucoup la pluie : pendant la pluie, il le savait, les cafés se transforment en famille aux têtes nouvelles, têtes de parents venus de loin qui ont du mal à se reconnaître ; la méfiance s’évanouit et, à force de regarder la pluie tomber derrière les vitres, tout le monde finit par se reconnaître, voire par festoyer un peu. Les gens qui boivent pendant la pluie aiment tout le monde…" (p. 48)

    Parfois un sursaut de lucidité ou la faim le poussent à chercher un petit boulot, à s’attacher à une fille, mais il redoute plus que tout la fin de cette vie de bohème.

    "Voilà, il fallait que je travaille. Il fallait que je travaille et que je prenne le risque de perdre tout ce qui était encore intact et prêt en moi. J’ignorais ce qu’il y avait encore de prêt en moi, mais il y avait bien quelque chose, quelque chose de solide et de résistant. Voilà, je devais brandir ça et courir des risques. Je ne pouvais plus rester assis à un café en me croyant malin, ou du moins aussi malin que les autres. Il fallait que je m’extirpe des cafés, des lits, des copains, des femmes, des habitudes, du jardin public de la via Adua. 

    M’en extirper et faire quelque chose, n’importe quoi, ce qui fait qu’un homme est un homme, pas seulement une main peignant des caisses ou clouant des caisses avec le sentiment qu’elle peut arrêter n’importe quand. Je n’avais jamais été un homme qui avance vraiment. J’avais vécu un tas de vies entamées et jetées l’une après l’autre comme de vieux mouchoirs par ennui, bêtise, irritation. Maintenant ces vies me serviraient. Ce n’avaient pas été des vies inutiles, je le savais, mais des sortes de fenêtres dans une maison, des fenêtres devant lesquelles on s’assoit pour admirer des paysages incluant des gens et des arbres. Or, une maison possède des murs, des portes, des escaliers, des toits et des endroits où l’on est protégé. Moi, je n’avais eu que des fenêtres, je n’avais pas été un bon maçon. A présent il fallait que je réagisse, que je construise les murs. Les fenêtres ne seraient pas oubliées. Au contraire. Elles étaient là pour m’aider, elles étaient les événements d’avant, et les événements ne s’effacent pas." (p. 84)

    Giovanni Arpino (1927-1987) est un auteur majeur de la littérature italienne, également journaliste à la Stampa et scénariste. Deux de ses romans ont été adaptés au cinéma : Parfum de femme, et Une âme perdue.  L’ombre des collines (1962, trad française 1998) a reçu le prix Strega (prix Goncourt italien). J’ai aimé son écriture, à la fois classique (imparfait et passé simple) et très évocatrice du quotidien.

    Aline

     

  • Bouillon italien (suite)

    Mario Rigoni-Stern (1921-2008)

    Mario Rigoni Stern est né à Asiago, commune pauvre du Tyrol italien. Il est incorporé pendant la Seconde Guerre mondiale dans un régiment de chasseurs alpins. Fait prisonnier par les Allemands après la signature de l'armistice avec les Alliés en septembre 1943, il est transféré en Prusse orientale. Il finit par s’évader, et parvient à rejoindre Asiago en avril 1945. Employé au cadastre, il se consacre à l’écriture à partir de 1970.

    Rigoni Stern et Primo Levi ont vécu des expériences qui se rejoignent, et Primo Levi le considérait comme l'un des grands écrivains italiens du 20e sièclePlus modestement, nous aussi avons beaucoup aimé ses textes, dont nous recommandons chaudement la lecture

    Le sergent dans la neige (1954)

    Premier livre écrit par Rigoni Stern, devenu un classique de la littérature italienne, ce roman reprend ses souvenirs de la dure retraite de Russie : la longue marche de quelques soldats italiens, dans le froid et la neige, accompagnés par la faim. Souvenirs aussi de quelques moments d'humanité et de solidarité, y compris entre ennemis.

    Les saisons de Giacomo (1995)

    1919-1938. Histoire des familles italiennes du plateau d'Asiago. Le travail manque, les pères partent en chercher à l'étranger, les enfants pauvres comme Giacomo fouillent les tranchées de la 1ère guerre pour récupérer les métaux des obus et gagner quelques sous. Puis c'est la montée du fascisme, la politisation et l'embrigadement des jeunes. Mario Rigoni Stern offre un témoignage poignant, tout en transmettant son émerveillement devant la campagne et la nature, dans une très belle écriture.

    Les sentiers sous la neige (1998) et En attendant l'aube (1994)

    Recueils de nouvelles très évocatrices, autour des thèmes récurrents chez Rigoni Stern : la guerre, la neige et le froid, le réconfort que l'on peut trouver auprès des autres, la solidarité, la montagne. La lettre à Jacopo fait exception : elle rend hommage au peintre de la Renaissance Italienne, Jacopo da Bassano, à travers l'histoire d'une de ses œuvres.


    Retour sur le Don (1973) 

    Trente ans après la campagne de Russie à laquelle il participa en tant que chasseur alpin italien, l'auteur revient dans les steppes russes parcourir à nouveau le tragique itinéraire où la plupart de ses camarades sont tombés. Passé et présent alternent. Mais au-delà des hostilités imposées et de l'absurdité des combats, les contacts humains, élémentaires et essentiels, demeurent. Les souffrances vécues rapprochent les deux camps autrefois opposés ; l'auteur retrouve alors les qualités de l'âme russe découvertes dans les camps de prisonniers. On retiendra la superbe histoire des trois pommes de terre bouillies, offertes par une vieille femme russe. La guerre n'a pas épargné non plus le plateau d'Asiago. De tout cela, Rigoni Stern témoigne avec un réalisme sobre. Nourri d'émotion et de poésie face à la nature, il fait sortir de l'anonymat des humbles.