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paroles et musique

  • Âme brisée

    roman, Japon, musique, mémoire

     

    Âme brisée

    Akira MIZUBAYASHI

    Gallimard, 2019, 237 p., 19€

     

    Âme : petite pièce de bois interposée, dans le corps de l’instrument à cordes, entre la table et le fond, les maintenant à bonne distance et assurant la qualité, la propagation comme l’uniformité des vibrations.

    La scène fondatrice du roman se passe à Tokyo, en 1938, dans le contexte historique de la guerre de 15 ans au Japon, barbarie militaire qui a engendré plus de 20 millions de morts dans cette région du monde. Rei, garçon de 11 ans, lit tranquillement les exploits de son héros Coper, pendant que son père Yu Mizuzawa, 1er violoniste, répète un quatuor à cordes de Schubert avec des amis Chinois - en idéaliste qu'il est, imperméable à l’étroite vision nationaliste opposant le Japon à la Chine depuis 1931.

    "Je crois que ça a du sens… qu’aujourd’hui, en 1938, dans un coin de Tokyo, un quatuor sino-japonais joue Rosamunde de Schubert…, alors que le pays entier tombé dans ses obsessions bellicistes semble être dévoré par le cancer nationaliste divisant les individus entre un nous et un eux…"

    Un caporal zélé soupçonnant une réunion clandestine réduit en miettes l’instrument  de Yu de ses lourdes bottes, et emmène le musicien au QG sous l’accusation d’être un « hikokumin » ou mauvais sujet japonais. Arrivé trop tard, le lieutenant Kurokami, mélomane éclairé, échoue à protéger Yu, mais cache la présence du fils effrayé et lui rend le violon brisé. De Tokyo à Mirecourt, dans les Vosges, le roman suit le destin de cet enfant, le processus par lequel il devient un luthier de grand renom, ainsi que le destin du violon détruit par le militaire.

    La musique est partout présente dans le roman, et l’amour de la musique classique transparait dans tout le récit, mais elle n’en est pas le sujet à proprement parler. C'est plutôt un roman sur l’amour, qui lie l’enfant à son père par-delà la mort, et sur la mémoire, qui a figé le destin des personnages. Le romancier, dans une interview, souligne la dédicace de son livre à "tous les fantômes du monde". Dans ce roman, le père est le fantôme précis, mais l’auteur considère toutes les victimes d’Hiroshima, celles du bombardement massif de Tokyo le 10 mars 1945, et plus largement toutes les victimes du monde n’ayant pas pu aller au bout de leur mort.

    Akira Mizubayashi est un écrivain japonais d'expression japonaise et française. Né en 1951 à Sakata. Il commence ses études à l’université nationale des langues et civilisations étrangères de Tokyo, puis étudie à Montpellier, et à l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Il enseigne le français à l'université de Tokyo. Depuis 2011, il a choisi d’écrire directement en français (Cf. Une langue venue d’ailleurs, sur son rapport à la langue française) – entre autres dérangé par la façon dont la société japonaise hiérarchisée est inscrite dans la langue. Cela lui donne un style légèrement distancié.

    Aline

    Ce roman est disponible à la bibliothèque, de même que les CD de sa bande sonore :

    13e quatuor en la mineur, opus 29, de Schubert, dit "Rosamunde" ; Partita n°3 en mi majeur de Bach, dite "Gavotte en rondeau" ; Quatuor à cordes en ré majeur, opus 18-3 de Beethoven, interprété par le quatuor Alban Berg ; Sonates et partitas pour violon seul, de Bach ; Concerto pour violon de Berg "à la mémoire d’un ange".

     

    L'avis de Vivement Dimanche : "Pénétrer dans l'atelier du luthier Jacques/Rei, c'est entrer dans un univers feutré fait de musique, de gestes précis et d'humilité. Voici un très beau roman à l'âme japonaise qui nous parle d'un enfant et d'un violon qui le guidera toute sa vie."

  • Le chanteur perdu

    bande dessinée, Le chanteur perdu

    Didier TRONCHET

    Dupuis (Aire libre), février 2020, 23€

     

     

     

    Roman graphique inspiré d’une histoire vraie, celle de l'enquête menée par l'auteur pour retrouver un chanteur inconnu qui avait marqué sa jeunesse étudiante. Sans aucune piste sur ce chanteur dont les chansons l’ont accompagné pendant trente ans, le narrateur suit la piste ténue des paroles pour retrouver sa trace, de façon totalement désordonnée. Du viaduc de Morlaix au laboratoire de biologie du lycée de jeunes filles de la même ville, de Paris à la Baie de Somme, il suit ses intuitions.

    C’est aussi l’occasion de se remémorer son personnage de jeune rebelle des années 1970, et de contempler un peu surpris la façon dont il a évolué. Il montre peu de patience pour ses propres travers, et son imagination qui le fait sauter facilement à des conclusions hâtives. Beaucoup d’autodérision dans l’évocation de ses maladresses, enlisé en voiture en baie de Somme, ou empalé sur les rochers pleins d’oursins…

    Didier Tronchet a un talent pour les récits en apparence légers, qui sont pourtant empreints de profondeur et d’humanité. Cette bande dessinée fait pendant à Robinsons père et fils, une autre facette de son séjour sur l’Île aux Nattes, au large de Madagascar -bande dessinée faisant partie de notre sélection 2020 pour le prix M.O.T.T.S. des lecteurs

    En fin d’album, 14 pages sur la véritable histoire du « chanteur perdu » avec quelques photos d’époque.

    Paroles et musique : sur le site de Didier Tronchet, albums du chanteur perdu et version roman du récit, pour une expérience « BD-musique-roman » pour amateurs de narration multiple.

    Aline

  • L'albatros

    paroles et musique, autobiographie, roman

     

    L’Albatros

    Nicolas HOUGUET

    Stock (Littérature générale), 2019, 224 p., 17.50€

     

    Mardi 20 octobre 2015, la foule se presse pour le concert de Patti Smith à l’Olympia. Nicolas Houguet, maladroit, empêché, est "absurdement placé, comme toujours, au-dessus de la table de mixage".  Pourtant, dès l’entrée en scène de Patti, soixante-huit ans, la puissance des sorcières, le regard sauvage, la magie opère.

    "La dame s’avance. Altière. Et paradoxalement très simple. En costume sombre que ne vient rehausser qu’une chemise claire sous le gilet et la veste. La chevelure blanche…   Les mains de Patti Smith qui s’élèvent, s’écartent au-dessus d’elle comme des bannières longilignes et diaphanes…  D’une humanité et d’un charisme de chaque geste, alternant les sourires et l’emphase. Jusque dans son maintien."

    Au fil du concert, et de l’intégralité du premier album Horses, chaque chanson évoque des souvenirs d’enfance, le soutien familial inconditionnel, des émotions, des réflexions sur la façon dont l’auteur ressent son handicap, et ses relations à l’art et au monde. Chez Patti Smith, Nicolas retrouve toutes ses références poétiques et artistiques, de Rimbaud à Baudelaire et Jim Morisson. L’art qui permet d’échapper à son enveloppe corporelle, la folie cathartique du concert. "Les albatros rentrés maladroits dans cette salle ce soir-là ont pu grâce à Patti Smith regagner le sublime."

    Beau témoignage, un peu exalté, c’est un livre à déguster, à poser, à reprendre, en s’arrêtant sur les phrases « justes » qui résonnent en soi. (Chez moi, il a fini en forêt de marque-pages). Toute une vie dans un concert de Patti Smith.

    Aline

    "On est du souffle divin.

    Et tout ça danse en mouvements désarticulés. Comme des émotions qui s’incarnent dans des gestes maladroits.

    Si j’ai appris à aimer mon corps, et mon handicap, c’est qu’il en est l’illustration parfaite. Qu’il ne cache rien de mes émotions. Qu’il les dévoile comme des secrets qui se trahissent dans des contractions. C’est très beau quand votre corps exagère votre vérité. Il vous pousse à l’épouser comme une harmonie. Il vous envoie des messages. J’ai mis beaucoup de temps à apprécier cette mélodie curieuse, à y entendre un accord étrange, mélancolique et dissonant. Mais pas dénué de grâce. Je suis en la mineur. Un morceau d’Arvo Pärt."  (p. 116)

    La bande son : Jim Morisson

    Patti Smith (Horses),

    Arvo Pärt et ses très beaux morceaux minimalistes pour piano et violoncelle (Für Alina, Spiegel im Spiegel, Tabula Rasa...)